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"Décembre 81"



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Voyage en France sans retour

 

C'est le 1er juillet 1981.

Je monte dans un appareil de la LOT, pour passer mes vacances en France. Dans quatre jours, j'aurai 25 ans et ce n'est pas la première fois que je viens ici. Je suis tellement amoureuse de la France et j'ai tellement envie de vivre ici que je suis prête à tout. J'ai d'ailleurs quitté mon petit ami polonais, parce que je me suis rendue compte que si je l'épousais, jamais je ne vivrais en France.

Je ne sais pas encore que je ne reviendrai pas, pas tout de suite en tout cas. Même si je le désire, j'ai peur. La veille de mon départ, la maison est pleine de monde, c'est vrai que dans quelques jours c'est mon anniversaire et tout le monde est là, avec les cadeaux. Il faut dire au revoir à tout le monde, personne ne dit rien, mais on sait qu'on ne se reverra pas.

Je suis jeune, j'ai envie de vivre. J'ai fini mes études, j'ai une maîtrise en poche et j'enseigne le français dans un lycée. J'ai ma paie à la fin du mois, mais ce n'est même pas assez pour m'acheter une paire de bottes. En plus, c'est juste un contrat de trois ans, et après …

Nous avons tous peur, depuis quelque temps, les événements se précipitent et nous avons du mal à suivre. Une vague de liberté nouvelle s'abat sur nous, nous avons SOLIDARITE, mais cette victoire éphémère a un petit goût amer. Les magasins sont de plus en plus vides, chacun fait marcher ses petites combines, mais des fois le prix est trop cher à payer. Tiens, la mère d'un de mes élèves tient un magasin de chaussures et j'ai besoin de chaussures. J'en profite bien sûr, même si je sais que je ne devrais pas, heureusement que c'est un bon élève. Ce qui n'est pas le cas de celle dont la mère me fournit le service en porcelaine de Chine dont je rêve.

Nous n'avons pas choisi cette vie là… Mais moi, je peux en choisir une autre.

Je suis donc dans mon avion, avec ma petite valise (non, elle n'est pas en carton). Je vais chez ma sœur, qui a épousé un français (quel pot qu'elle a, celle-là) et j'ai un correspondant qui m'attend. Ses parents sont d'origine polonaise et ils rêvent de le voir épouser une gentille petite compatriote et j'en suis une. N'est-ce pas merveilleux ? Enfin, on ne va pas s'attarder dessus, nous passons les vacances ensemble (en tout bien tout honneur - ou presque) et il ne veut pas de moi. Et dire que j'étais prête à épouser le premier venu pour rester en France. Du coup, je suis obligée de demander l'asile politique, mais le prix est très fort -plus de Pologne, plus de papa maman, même eux, ils ne pourront pas venir me voir. La lutte est féroce, je ne sais pas quoi faire. La veille de mon retour, Michel, le mari de ma sœur, sèche sa journée de travail pour me convaincre. Nous sommes le jeudi 27 août 1981, nous sommes assis à la table de la cuisine de l'appartement de ma sœur et il me parle. Il me parle de la Pologne, de la France, il me dit tout ce que je veux entendre et je suis d'accord. Oui, je vais rester en France. Et puis il s'en va et je ne sais plus. En fait, je ne peux pas, c'est trop dur, ma vie est là bas. Et puis il revient et je reste ; il se détourne et je ne suis plus très sûre, même pas sûre du tout.

La journée passe sur la décision de rester. Je m'endors, l'avion décolle de Satolas à 8 h du matin, je me réveille en sueur à 5 heures, parce que mon unique valise n'est pas prête. Et puis l'heure passe et c'est trop tard, les dés sont jetés. Le samedi matin, le lendemain de mon retour, je suis attendue au lycée pour les examen de rattrapage, nul ne sait que je ne reviendrai plus. Même pas mes parents. J'essaye de joindre les amis qui ont le téléphone, (c'est un luxe la bas) pour qu'ils préviennent mes parents.

Moi, je reste sereine, de toute façon, je ne peux plus revenir en arrière. C'est la course qui commence, Préfecture, demande d'asile, interrogatoire, police, gendarmerie, DST. Je me fais même outrageusement draguer par le mec qui m'interroge à la DST. Un vrai parcours de combattant. En même temps, il faut que je fasse quelque chose côté boulot : donc ANPE, ASSEDIC. Je trouve un stage à la Fac Catholique de Lyon, je tombe sur un gars sensationnel à l'ANPE qui croit en moi et qui se défonce pour moi. Il m'aide beaucoup, c'est grâce à lui si je suis acceptée au stage. C'est vrai que j'ai tous les atouts de mon côté, je suis intelligente, diplômée, débrouillarde. J'apprends un métier, le mien, prof de français, est désuet ici. C'est vrai, je pourrai continuer les études et avoir un diplôme français, pour ça, il faudrait que je reste à demeure chez ma sœur et des fois le torchon brûle.

La Pologne me manque terriblement, je cherche des contacts. Le type de la DST, celui qui me fait des propositions malhonnêtes, me refile les coordonnées d'une association franco-polonaise, très active sur Lyon. Paraît-il, ils ont même un groupe folklorique et ils cherchent des volontaires. J'en suis une, on ne peut pas être plus motivé que moi, je me sens tellement seule. Je téléphone, l'enthousiasme tombe quand j'annonce la couleur, réfugiée politique… "bon, voyez-vous, nous travaillons avec le Consulat, nous verrons si c'est possible " et dire que le décembre n'est pas encore là. Le rideau tombe, c'est le même, celui de fer. Je sais, qu'ils ne m'appelleront pas, plus… Je suis seule et je le resterai. Pour l'instant. Mais c'est très dur, j'en pleure tout le temps, même si je réussis à faire bonne mine.

Le temps passe.

Je commence à me faire des amis : cinéma, boutique, spectacles, etc., ça commence à bouger. Annie, mon amie toute nouvelle, m'invite pour passer la journée chez elle. C'est dimanche, nous sommes le 13 décembre 1981. Nous rigolons, nous jouons, écoutons de la musique, tout le monde est merveilleux là bas. Bellemare fait un marathon radiophonique pour aider la Pologne, j'adore Bellemare.

Le soir, je rentre chez moi, heureuse, j'ai passé une merveilleuse journée. Et je m'en souviendrai toute ma vie. Je rentre et ma sœur m'accueille à la porte, blafarde :

" Tu n'es pas au courant, l'état de guerre vient d'être déclaré en Pologne ".

Et puis, c'est RIDEAU, celui de fer.

 



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