1°
août 2004, un soixantième anniversaire cher au cœur
des Polonais, au pays et dans le monde : celui du déclenchement
de l’Insurrection de Varsovie contre l’occupant nazi,
le 1° août 1944. Une page héroïque dans la
tradition des grandes flambées du patriotisme polonais, depuis
un siècle et demi que dure le calvaire du "Christ des
nations". Une page tragique dont rien, parmi tous les malheurs
de la Pologne, n'avait encore égalé la noirceur. Soixante-trois
jours de combats sans merci, dans un total déséquilibre
de forces, entre les résistants de l’Armia Krajowa
(Armée de l'Intérieur) très légèrement
armés, appuyés par la seule population civile, et
les troupes suréquipées du III° Reich, composées
d’unités spécialisées dans la guerre
urbaine et la répression anti-partisans. Abandonnés
par les Alliés, et surtout par l'Armée rouge censée
intervenir à leurs côtés aux premiers jours
de la bataille de Varsovie (l'opération Tempête, Burza)
pour anéantir la défense allemande, les insurgés
devront capituler après neuf semaines de carnage. Bilan :
plus de 18 000 soldats de l’AK tués, quelque 15 000
ennemis, ainsi que près de 200 000 civils, soit plus de 230
000 morts auxquels il faut ajouter d’innombrables blessés
ou mutilés, des cohortes de survivants déportés
ou brutalement jetés sur les routes, une capitale détruite
à plus de 80%.
Une page d'apocalypse, donc, qu'il importe de commémorer
avec la piété, l'admiration, la compassion qu'elle
nous inspire à tous, survivants et héritiers. Mais
en songeant aussi que soixante ans après, il est temps d'aller
au-delà de la sympathie pour les héros et les victimes,
au-delà de l'effroi devant ce que la haine a rendu possible.
Temps de se pencher sur les enjeux politiques de cette catastrophe
provoquée et consentie, si commodément attribuée
au romantisme irresponsable des Polonais… par ceux qui en
portaient justement la responsabilité. Temps de s'intéresser
à la mémoire si lacunaire, si brouillée, si
injuste que les vainqueurs de 1945, à l'Ouest comme à
l'Est, ont voulu conserver de ces événements. Le bilan
démesuré du martyre de Varsovie en 1944 devrait faire
de ces soixante-trois jours une référence majeure
dans la mémoire de la seconde Guerre mondiale. C'est pourtant
loin d'être le cas. Ainsi, pour s'en tenir au cas de la France,
comment expliquer et comment admettre que dans un pays dont la culture
civique donne une telle place au souvenir de la seconde Guerre mondiale,
l'Insurrection varsovienne de 1944 soit presque universellement
ignorée ou confondue avec celle du ghetto, survenue en avril
1943 ? Y aurait-il un inconvénient à ce que soit connue
cette page d'histoire ? Lequel ?
Bien des questions restent à poser sur ces silences. Mais
tout d'abord, bien des choses restent à découvrir,
à faire découvrir sur l'Insurrection.
Gloires et malheurs d'une capitale insurgée
Soumise
depuis presque cinq ans à la tyrannie nazie, Varsovie est,
trois semaines avant Paris, la première capitale de l'Europe
occupée à se soulever. Un soulèvement qui commence
la fleur au fusil, dans l'enthousiasme d'une victoire imminente,
alors que l’Armée rouge progresse irrésistiblement
vers la capitale et que la radio communiste ne cesse d'appeler les
"frères varsoviens" aux armes pour en finir avec
le III° Reich. La défense allemande craque de partout,
les villes des fronts ukrainien et biélorusse tombent les
unes après les autres, et tandis que tonne l'artillerie soviétique,
des convois de la Wehrmacht en déroute refluent sur la capitale,
à la grande joie de ses habitants. Nul n'en doute plus, l'heure
de la libération a sonné. Des détachements
rouges ayant été signalés en grande banlieue,
le commandant en chef de l'AK, le général Tadeusz
"Bór"-Komorowski, décide de passer à
l'action. Il dispose d'environ 50 000 hommes et d'un armement de
fortune. Mais il n'y aura pas longtemps à tenir avant l'entrée
en scène des troupes russes. Officiellement, c'est l'affaire
de trois jours.
Pourtant, rien ne se déroule comme prévu. Passé
le moment d'euphorie qui suit l'heure H (Godzina W), le mardi 1°
août à cinq heures de l'après-midi, une fois
remportés les premiers succès remarquables et essuyés
les premiers échecs explicables, l'optimisme va retomber.
Le canon soviétique s'est tu. Plus un signe de l'arrivée
de l'Armée rouge. À la place, ce sont des colonnes
de blindés ennemis qui prennent position sur les ponts, des
divisions de renfort de la garnison allemande qui se massent à
l'entrée des faubourgs. Le drapeau blanc et rouge a beau
flotter sur le gratte-ciel Prudential, sur la grande poste voisine
ou sur la centrale électrique des bords de la Vistule, des
quartiers entiers du centre-ville, de la vieille ville et de la
périphérie ont beau être libérés,
les insurgés comprennent très tôt que la bataille
ne sera pas celle à laquelle ils s'étaient préparés.
Cette bataille, ils risquent bien de devoir la mener tout seuls.
L'appui escompté des Alliés fait défaut. L'Armée
rouge a cessé tout mouvement au sol sur la rive droite du
fleuve et relâché le puissant contrôle de l'espace
aérien qu'elle assurait à la veille de l'Insurrection,
laissant désormais le champ libre à la Luftwaffe qui
commence bientôt à bombarder la vieille ville. Quant
aux avions britanniques qui, dès la première semaine
du soulèvement, tentent des parachutages, ils sont la cible
facile de la DCA ou de la chasse et connaissent de lourdes pertes,
à moins que les armes larguées avec succès
n'atterrissent… en secteur ennemi.
Par ailleurs, il apparaît que les Allemands ne sont pas aussi
affaiblis qu'ils en avaient l'air. Grâce à l'afflux
de renforts
en hommes et en matériels qui marque la prise en main de
la répression par le général SS Erich von dem
Bach, ils sont en mesure de livrer une guerre totale, non seulement
à l'AK, mais à l'ensemble de la population. Dès
le 2 août, à Mokotów (faubourg sud), les SS
commencent à massacrer des civils par centaines. Puis c'est
le tour de Wola (faubourg ouest) où entre le 5 et le 7 août,
entre 50 et 60 000 habitants sont assassinés. On les regroupe
soit dans les cours des immeubles pour être mitraillés,
soit dans les caves où ils sont enfermés et brûlés
vifs. Les hôpitaux sont le théâtre de scènes
d'épouvante. Au Zieleniak, le marché aux herbes d'Ochota
(faubourg sud-ouest), des milliers de personnes sont parquées
pendant quatre jours sans eau ni vivres, et livrées aux exactions
des supplétifs ukrainiens et russes des nazis. Ces unités
(RONA de Kaminsky, ROA de l'ex-général de l'Armée
rouge Vlassov), ainsi que les brigades spéciales de Dirlewanger
(criminels de droit commun) et de Reinefahrt auront une fonction
tactique importante dans l'écrasement de l'Insurrection,
en conférant à celui-ci une dimension de radicalité
génocidaire que l'occupation, du moins à Varsovie,
avait réservée au ghetto.
Les insurgés renforcent et étendent leurs positions
jusqu'au 5 août. À partir de cette date, les zones
tenues par l'AK sont coupées les unes des autres. Seuls les
égouts permettent de relier Stare Miasto (la vieille ville)
aux quartiers libérés de Zoliborz (faubourg nord),
du centre-ville (hyper centre + Powisle et Czerniaków sur
la Vistule) et de Mokotów (faubourg sud). C'est sur la vieille
ville que porte d'abord la contre-attaque allemande. Sur ses ruelles
surpeuplées de réfugiés des faubourgs martyrs,
pleuvent les bombes larguées en piqué par les stukas
et les obus de 2,2 tonnes tirés par le mortier géant
Karl. On compte jusqu'à 123 sorties de bombardiers en un
seul jour sur un objectif de moins de 2 km.
De
spectaculaires victoires sont cependant remportées par les
insurgés pendant le mois d'août : prise du PAST, bastion
allemand de la rue Zielna, le dimanche 20, et le mercredi 23, prises
du Commandement de la police de la rue du Faubourg de Cracovie et
du central téléphonique de la rue Pie XI, dit "petit
PAST". Dans les quartiers délivrés de la terreur
nazie, une vie civile tente de renaître. L'administration
municipale se reconstitue. Avec le concours des associations caritatives
ou religieuses, elle s'efforce de gérer les multiples pénuries
dont souffre la population et organise avec efficacité la
distribution des vivres et des secours. Les scouts prennent en charge
l'acheminement du courrier… et des journaux, dont les titres
de toutes obédiences, anciens et nouveaux, ont fleuri dès
les premiers jours de l'Insurrection. Les Varsoviens se remettent
à écouter la radio (acte puni de mort sous l'Occupation)
: la BBC, mais aussi la station insurgée Blyskawica ("Eclair",
homonyme du célèbre pistolet automatique national).
Des spectacles sont donnés au milieu du fracas des bombes.
On se presse au théâtre de marionnettes, au concert.
Les reporters de l'AK filment la vie et la mort de Varsovie insurgée.
Leurs films sont projetés au cinéma Palladium.
Stare Miasto (la vieille ville) tombe. Ses défenseurs, ou
ce qu'il en reste, l'évacuent par la voie des égouts
entre le 27 août et le 1° septembre. À son tour,
Powisle subit l'assaut des stukas, des blindés et des colonnes
meurtrières de Dirlewanger. Le 6, le quartier en flammes
est abandonné par ses habitants et ses défenseurs.
Les unités de l'AK se regroupent dans l'hypercentre, notamment
sur la grande poste, solidement tenue malgré un harcèlement
incessant, et qui ne se rendra jamais. Partout, la situation est
catastrophique. Privée de ressources alimentaires et sanitaires,
la population survit en troglodyte dans les caves et les ruines.
Des épidémies se déclarent. Une démarche
de capitulation, amorcée par le commandement en chef, est
suspendue à l'annonce de l'intervention soviétique
tant attendue.
Celle-ci se limite à quelques sorties de chasseurs et à
des largages inadéquats (armes sans munitions, ou le contraire),
puis, à la mi-septembre, à une action terrestre pour
déloger l'artillerie allemande de la rive droite, avec l'appui
des troupes polonaises sous commandement soviétique du général
Berling. Ce sont ces hommes de Berling, mais cette fois sans le
soutien de l'Armée rouge, qui tentent les 17, 18 et 19 septembre
de passer sur la rive gauche, notamment au port de Czerniaków.
Sous le feu continu de l'ennemi, mal préparés à
la guerre urbaine, appuyés par leurs compatriotes insurgés
à court de munitions, ils échouent en perdant plus
des deux tiers de leurs effectifs. Les bastions AK de Czerniaków,
de Mokotów puis de Zoliborz s'effondrent dans la dernière
semaine de septembre. Leurs défenseurs sont massacrés
sur place ou à la sortie des égouts par lesquels ils
ont parfois réussi à fuir. D'autres périssent
dans le cloaque, gazés ou brûlés par les Allemands,
perdus dans le labyrinthe ou bien devenus fous. Au centre-ville,
le commandant en chef, Tadeusz Bór-Komorowski, se résout
à capituler.
Un cessez-le-feu est signé dans la nuit du 2 au 3 octobre.
15 000 insurgés survivants rendent leurs armes et sont emmenés
en captivité, avec un statut de prisonniers de guerre accordé
in extremis par Hitler. Les civils sont chassés de la capitale,
regroupés au camp de Pruszków puis déportés
ou, pour les plus faibles, abandonnés sans soins.
Les Soviétiques ne reprendront l'offensive qu'au début
de l'année 1945. C'est seulement le 17 janvier que l'Armée
rouge et les soldats du général Berling font leur
entrée dans la capitale. Ils découvrent un paysage
lunaire. Les premiers civils qui s'enhardissent sur leurs traces
circulent à la boussole parmi des monceaux de gravats.
Leçons d'une histoire
Avec
la défaite des insurgés d’août et septembre
1944, la catastrophe apportée au monde par le régime
hitlérien connaît un de ses derniers paroxysmes, tandis
qu'une fois de plus, la barbarie nazie désigne la Pologne
comme sa victime absolue. Conformément à la consigne
donnée dès les premiers jours d'août par Himmler,
de faire de Varsovie "un exemple terrifiant" pour l'Europe,
la contre-offensive allemande se déroule suivant un programme
méthodique combinant plusieurs registres d'horreurs déjà
expérimentées par le III° Reich : bombardements
intensifs, nettoyage des quartiers au lance-flammes, massacre de
civils à grande échelle, viol, torture, assassinat
des blessés et des personnels soignants, civils utilisés
comme boucliers humains et obligés de marcher en colonnes
devant les chars. L'écrasement de l'Insurrection donne à
Hitler l'occasion de parfaire un programme d'anéantissement
arrêté bien avant la guerre. La Pologne doit être
niée comme nation et comme civilisation, au point qu'après
la capitulation et l'évacuation de Varsovie début
octobre, les divisions allemandes s'acharnent sur la capitale morte
et détruisent tout ce qui a survécu au siège
de septembre 1939, à presque cinq années d'occupation
et à l'enfer de l'Insurrection. Comme dans le cas de la Shoah,
dont le Reich poursuit obstinément la réalisation
jusqu'à la veille de sa chute, le règlement de comptes
avec la Pologne procède d'une nécessité idéologique,
renvoyant elle-même à la structure profonde du nazisme.
Le grand voisin oriental de l'Allemagne ne saurait avoir d'existence
autonome sur la scène de l'histoire, il doit même comme
espace perdre toute spécificité : Varsovie doit être
réduite à un simple point géographique, recommande
personnellement le Führer. La destruction matérielle
de la ville doit s'accompagner de sa liquidation comme pôle
d'identité morale et culturelle, dans le droit-fil d'une
politique d'occupation ciblée sur les élites. L'Insurrection,
largement menée par la jeunesse bourgeoise varsovienne, confirme
aux hitlériens que les générations montantes
et les élites sont leurs adversaires les plus pugnaces, qu'ils
ont tenté d'abêtir pendant cinq ans en fermant les
lycées et les universités. Symétriquement,
il leur faut éliminer le patrimoine polonais, témoignage
du génie des anciennes générations.
Mais c'est aussi le cynisme criminel du communisme qu'a illustré
le cas varsovien. Au moment même où sur les champs
de bataille, l'Armée rouge portait au nazisme des coups décisifs
et parvenait aux portes de la capitale, Staline lui donna l'ordre
de demeurer l'arme au pied sur la rive droite de la Vistule jusqu'à
la fin de la tuerie, afin de pouvoir installer sans peine en Pologne
un gouvernement aux ordres de Moscou. Cette trahison de l'Insurrection
de Varsovie s'inscrivait dans une longue tradition d'hostilité
russe, puis bolchévique à la nation polonaise et réactivait
de façon inattendue le pacte germano-soviétique de
1939. Mais elle préfigurait aussi l'intransigeance de Staline
dans le partage de l'Europe, de même que le lâche consentement
des Alliés à estimer impossible toute aide aux insurgés
de Varsovie préfigurait leurs complaisances ultérieures
envers le maître du Kremlin.
Soixante ans après, il faut réparer une autre trahison.
Celle de la mémoire, qui n'a pas voulu de cette tragédie,
à l'Est comme à l'Ouest. Le régime communiste
installé de force en Pologne après la guerre a ignoré
l'Insurrection de 1944, ou n'a reconnu son existence que pour la
stigmatiser, d'abord comme mouvement fasciste, ensuite comme aventure
anarchique, d'une criminelle inconséquence. Après
avoir liquidé, emprisonné, tracassé ses anciens
insurgés, la Pologne soviétique n'a fait mine de les
reconnaître que pour dénier leur responsabilité
historique. Si Staline, à la différence d'Hitler,
a obstinément considéré les membres de l'AK
comme des bandes armées, et jamais comme des soldats, ses
successeurs se sont conduits de façon encore plus sournoise
en s'efforçant de minimiser leur action, ou tout simplement
de la faire oublier. Seules les victimes du ghetto ont été
honorées par un monument dans la Varsovie socialiste. C'est
devant celui-ci que s'est agenouillé le chancelier Willy
Brandt, venu signer le traité germano-polonais, le 7 décembre
1970. Ce geste bouleversant a sans doute lavé l'honneur de
l'Etat allemand et fait grandir l'humanité tout entière.
Mais n'eût-il pas été juste qu'il soit également
accompli devant un monument à tout un peuple meurtri par
le nazisme, et plus spécialement aux héros et aux
suppliciés d'août-octobre 1944 ?
Quant à ceux qui, dans la France d'aujourd'hui, continuent
pour d'obscures raisons l'œuvre de gommage révisionniste
des années de plomb, ils auront de plus en plus de mal à
se faire entendre. L'impressionnante exposition "L'Insurrection
de Varsovie", qui s'est ouverte le 24 juin dernier à
Paris dans le cadre prestigieux de l'Hôtel de Sully*, est
assurément l'occasion pour les Français de se rafraîchir
la mémoire. Elle est aussi le signe que pour les insurgés
de 1944, le temps du mépris et des trous de mémoire
est révolu.
* Manifestation organisée par la Ville de
Varsovie dans le cadre de Nova Polska, une Saison polonaise en France,
Jeu de Paume - site Sully, 62 rue Saint-Antoine, 75004 Paris, 25
juin - 26 septembre 2004, tous les jours (sauf le lundi) de 10h
à 18h30, tél. 01 42 74 47 75.
Elisabeth G. Sledziewski
maîtresse de conférences de science politique
(Institut d'Etudes Politiques de Strasbourg, Faculté de Droit
de Rennes)
auteure de Varsovie 44, récit d'insurrection
éditions Autrement, Paris, juin 2004, 205 p. (14,95 ?)
fille de Zbigniew Rys'-Sledziewski, ancien membre de l'AK,
insurgé de Varsovie (Unia-Krybar, VIII-106, section Bicz)
VARSOVIE 44 : RECIT
D’INSURRECTION
Août-octobre 1944
Témoignage
individuel, martyre d’un peuple. L’histoire de Varsovie
insurgée, événement peu connu ou tabou de la
Seconde Guerre mondiale, au fil des souvenirs de Zbyszek, jeune
combattant de l’AK, la principale armée de résistance
polonaise. Ses itinéraires dans la ville depuis la veille
du soulèvement jusqu'à la capitulation (août
à octobre 1944). Son regard rétrospectif sur les années
d’occupation. Son insurrection au quotidien. Sa foi, ses doutes,
sa souffrance, miroir de la conscience collective.
Contenu du livre
Si la mémoire de la Seconde Guerre mondiale
habite notre conscience démocratique, si les crimes du nazisme
et l'héroïsme de ceux qui l’ont combattu suscitent
un intérêt inépuisable, il est en revanche une
tragédie majeure qui a été recouverte par la
neige de l'oubli : l’insurrection de Varsovie, du 1° août
au 2 octobre 1944. Peu de nos contemporains savent qu’au moment
où Paris se libère, la capitale polonaise est depuis
trois semaines soulevée contre l’occupant. Sous le
commandement de l’Armée de l’Intérieur
(AK), les Varsoviens ont pris les armes en attendant que l’Armée
rouge, alors parvenue aux portes de la ville, leur apporte un renfort
décisif. Mais Staline en a décidé autrement.
Il stoppe l’avancée de ses troupes et ce sont les renforts
nazis qui affluent, tandis que les soldats soviétiques bivouaquent
sur la rive droite de la Vistule. Mobilisant un potentiel militaire
disproportionné, pratiquant le massacre de civils à
grande échelle, le IIIe Reich, pourtant aux abois sur le
front de l’Est, vient à bout des insurgés. Varsovie
capitule après une bataille acharnée de soixante-trois
jours. La ville est détruite à 80 %, le carnage a
fait entre 200 000 et 250 000 morts. Ces faits ont été
relatés dans de nombreux livres d'histoire, mais également
très refoulés. Le public français les confond
bien souvent avec la révolte des survivants du ghetto juif,
un autre épisode de la tragédie polonaise survenu
seize mois plus tôt, en avril 1943. En ce soixantième
anniversaire de l’insurrection de l'été 44,
qui coïncide avec l’entrée de la Pologne dans
l'Union européenne, il importe que nous nous souvenions du
martyre de la capitale polonaise, seule dans l'Europe occupée
à s'être dressée en masse et sans aide extérieure
contre la barbarie nazie. Elle défendait la cause de la civilisation.
Pour relater ce moment douloureux de l’histoire polonaise,
l’auteure a choisi de suivre les pas de Zbyszek, jeune combattant
de l’AK, en entraînant le lecteur dans un cheminement
au jour le jour, à travers la capitale insurgée. Le
récit de Zbyszek, partagé entre l’espoir et
l’effroi, s’apparente à celui du pianiste juif
W. Szpilman qui a inspiré le film de R. Polanski, ou encore
au parcours dantesque des héros de Kanal d'Andrzej Wajda.
L’auteure
Elisabeth
G. Sledziewski est philosophe et maîtresse de conférences
de science politique à l'Institut d'Etudes Politiques de
Strasbourg et à la Faculté de droit de Rennes. Elle
a publié de nombreux travaux universitaires sur la genèse
du sujet politique moderne de la Révolution à nos
jours, notamment sur l’identité du sujet féminin.
Elle a donné des cours et publié quelques articles
sur la Pologne contemporaine.
Son père, Zbigniew Sledziewski, a été soldat
de l'AK. Comme plusieurs membres de sa famille, il a participé
aux combats de la Résistance polonaise et à l'insurrection
de Varsovie.
VARSOVIE 44 : RECIT D’INSURRECTION
Août-octobre 1944
Elisabeth G. Sledziewski
éditions Autrement, Paris, www.autrement.com
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