Noël, un nom que tout le monde connaît…
tout le monde aime Noël.
Mais en Pologne, c’est bien plus que ça….
Boze Narodzenie, soit Naissance de Dieu, soit Noël, n’est
pas un jour de fête comme en France, d’abord il y a
deux jours fériés en Pologne pour cette occasion :
les 25 et 26 décembre, et puis il y a l’avant et l’après
Noël…..
Parlons d’abord de l’avant ou plutôt
de l’Avent, soit Adwent, en polonais. Il débute officiellement
4 semaines avant le jour de la naissance de Christ, son nom vient
du nom latin « adventus » soit l’arrivée,
l’Avent marque également la nouvelle année liturgique
chez les catholiques.
Mais ce que j’avais envisagé de vous
raconter aujourd’hui, ce n’est pas l’historique,
l’étymologie du nom, c’est surtout ce que représente
cette période pour le peuple polonais, comment je la vivais
quand j’étais une petite fille en Pologne.
Dernière semaine de novembre, nous savons
tous que dans un mois, ce sera notre fête préférée,
le calme, le tranquille Noël, plein de cadeaux, de surprises,
de bonnes choses à manger.
Adwent et Roraty
On
nous prépare à ça dès le plus jeune
âge, dans cette Pologne foncièrement catholique, tout
passe par la préparation spirituelle et les Roraty en font
partie à part entière.
Roraty est une cérémonie quotidienne,
durant la période de l’Avent, qui rassemble autour
d’une messe les petits et les grands.
Quand j’étais petite, Roraty avaient
lieu à 6 heures du matin, imaginez un peu, les gosses de
l’âge de l’école primaire, voire maternelle,
qui se lèvent tous les jours, pendant 4 semaines, à
5 heures du matin pour aller à la messe…. Inimaginable,
pourtant on le faisait.
Mais Roraty, ce n’était pas une messe
quelle conque.
Nous étions tous équipés d’une
sorte de lampadaire portatif, équipé d’une bougie
ou, plus souvent, d’une petite ampoule électrique marchant
sur pile. Ces « lampions » étaient de fabrication
artisanale, en papier, en carton, mais souvent finement travaillés,
en fer, aluminium, des vrais objets d’art…. Toutes les
rues de Piekary s’illuminaient dès 5 heures et demi,
au passage de cortège d’enfants, venant de toutes parts
en direction de l’église, c’était quelque
chose.
Et puis, à l’entrée de l’église,
on nous distribuait des images, doublement numérotées.
Le premier numéro correspondait à une case sur une
sorte de puzzle, où on collait l’image pour avoir un
ensemble à colorier, le deuxième numéro était
un numéro d’ordre, pour un tirage au sort, pour un
prix plus conséquent. Inutile d’ajouter que si on loupait
les Roraty d’un jour, il nous manquait une image à
notre palmarès.
Je me souviens très bien, quand ma mère
nous sortait du lit à 5 h du matin, les premiers jours, c’était
l’euphorie, vers la fin, un supplice….. Mais on le faisait
volontiers quand même… Noël était de plus
en plus proche…..
Au fil des ans, cette tradition s’est modifiée
quelque peu, disons, elle a été adaptée aux
besoins et aux circonstances, au lieu de petit matin, les Roraty
étaient célébrés le soir…. Nettement
moins fatigant ou alors une fois ou deux par semaine, et non quotidiennement…..
Plus on s’approchait de Noël, plus il
y avait d’effervescence…. Les provisions…. les
cadeaux…. Et le grand ménage… mon Dieu que je
détestais ça…
Le grand ménage
On
sortait tout de partout, on nettoyait tout. On sortait les assiettes,
les casseroles, les petites cuillères, les draps, on tirait
les armoires, on soulevait les canapés…. Il va sans
dire que je m’arrangeais toujours pour m’absenter dans
ces cas-là… mais j’échappais rarement
aux corvées…. Durant mes jeunes années, en tant
que la cadette de la famille, j’étais préposée
au lavage de toutes les poignées de toutes les portes de
la maison… et il y en avait, des portes dans cette baraque…
Maman me donnait un produit spécial, qu’on étalait
sur les poignées et les bordures en métal, en couche
épaisse, on laissait sécher et on frottait.. (pardon,
j’étalais, je laissais sécher, je frottais).
A la suite de quoi, une commission passait, composée le plus
souvent de ma petite Maman, éventuellement d’une autre
personne mal intentionnée, qui examinait mon travail et décrétait,
le plus souvent, que le résultat n’était pas
assez étincelant… Et devinez quoi : il fallait que
je recommence…. J’étais devenue une spécialiste
de nettoyage de clenches….. (enfin, j’ai un peu oublié
depuis…)
Au cours d’un de ces grands nettoyages, j’avais
perdu un grand ami, mon chat préféré.
Voulez-vous que je vous raconte cette histoire
horriblement triste? Oui, Non ? D’accord, je vous la raconte,
mais je vous préviens, c’est triste, c’est cruel
...
Même que je me souviens de la date, mais
pas de l’année… c’était un 8 décembre,
au cours d’un grand nettoyage, ma Maman a décidé
de laver le sol dans le petit salon télé (lire pièce
télé) qui comportait un vieux canapé qui me
servait de couchage…. Le canapé lit était ancien,
extrêmement lourd, il comprenait un coffre à literie
et l’espace entre le canapé et le sol était
d’un à deux centimètres. Et puis il y avait
mon chaton préféré, né sauvage, qu’on
a recueilli et qui était absolument adorable. Eh bien ma
Maman a décidé de laver sous le canapé, mon
Papa a été mis à contribution pour soulever
l’engin pendant que ma Maman passait le torchon dessous..
Après cette opération délicate, mon Papa a
lâché le canapé qui est retombé lourdement
sur le sol et voilà, c’était propre. Sur ce,
plus tard dans la journée (c’est à dire après
les corvées) j’arrive gaiement et je cherche mon petit
chat. Pas de chat…. Le lendemain, pas de chat non plus….Les
jours passent, les semaines passent, Noël arrive, la famille
se trouve rassemblée dans le petit salon, assise dans le
canapé, mon canapé, devant la télé et
un léger fumet se promène dans la pièce….
On se dit, tiens, ça ne sent pas très bon ici, on
regarde sous la table, sous les chaussures, derrière le canapé…
rien d’extraordinaire…. Les jours passent, le Nouvel
An passe et l’odeur devient insupportable… Jusqu’au
jour du 8 janvier, soit un mois pile après le grand nettoyage,
ou ma mère décide de pousser le canapé et elle
voit un petit bout de poils qui dépasse de sous le canapé…
je vous le donne en mille… c’était la queue du
chat qui dépassait, le seul morceau intact de mon animal
préféré… Nous avons tant bien que mal
gratté le reste sur le plancher en bois où les restes
de l’animal se sont incrustés presque définitivement….
Et la cuisine
Et puis, Noël, nous permettait de goûter
aux spécialités qu’on ne goûte qu’une
fois par an.
On a beaucoup parlé, au fil des ans, au
passage des Noëls successifs, des menus de la veille de Noël.
Mais il n’y a pas de menu unique, à part quelques plats
qu’on retrouve d’une région à l’autre.
Mais même dans la même région, dans la même
ville, les coutumes variaient.
D’abord,
la course à l’approvisionnement, un vrai jeu de pistes
dans la Pologne d’avant la chute du mur. Mais avec beaucoup
de persévérance, une bonne dose de relations et surtout
une patience d’ange et énormément de temps à
perdre, on ne manquait jamais de rien. Le matin du 24 décembre,
qui est un jour maigre, dans une maison étincelante, nous
étions réveillés par une odeur bizarre, celle
de siemieniotka, la soupe aux graines de lin, préparée
exclusivement pour le repas de la veille de Noël et servi avec
kasza gryczana, appelée en Silésie, poganska, à
savoir des graines de sarazin bouillies. Je détestais ça,
tous les enfants détestaient ça, les adultes adoraient…..
Il y avait des fois (ça c’est quand ma belle-sœur
partageait cette soirée avec nous) de la soupe de poissons,
enfin, de carpe, enfin, un bouillon de ce qui restait de la carpe,
tête… parures… et c’était loin d’être
mauvais….Mais ce n’était pas tout, nous avions
l’incontournable carpe, panée et frite, accompagnée
de pommes de terre, choucroute aux champignons secs, moczka, makowki,
Venaient après les fruits secs, les agrumes.
Le sapin, on ne le décorait qu’au
dernier moment, le 24 décembre dans l’après-midi,
c’était moi la préposée au sapin à
la maison, j’y mettais beaucoup de cœur et beaucoup de
temps (les mauvaises langues disaient que c’était pour
échapper aux autres corvées… mais vous me connaissez,
c’était faux…).
C’est au pied de ce même sapin qu’on
découvrait, à l’issue du repas, pris tôt
dans la l’après midi, dès l’apparition
de la première étoile dans le ciel, tous nos cadeaux.
Je me souviens de la joie que nous avions de découvrir des
sachets de friandises, telles que chocolat, noix, noisettes, oranges,
mandarines. Dans les jours suivants nous jouions à nos jeux
de cartes avec des noisettes comme monnaie d’échange.
La messe de minuit
Et
puis, nous nous rassemblions tous autour de ce même sapin,
illuminé, chacun muni d’un livre de prières,
pour entamer des chants, des cantiques, en attendant l’heure
de la messe de minuit….. Vers 23 heures le cortège
s’élançait, inimaginable, incroyable…..
Une file ininterrompue de la masse humaine convergeant vers l’église,
qui à cette occasion était toujours trop petite pour
accueillir les fidèles. Une bonne partie d’entre eux
restait dehors, aux froid, mais quand les voix s’ébranlaient
pour entamer « Bog sie rodzi…. » « Dzisiaj
w Betlejem » les murs de la ville tremblait.
La messe de minuit dans la Basilique Notre Dame
de Piekary avait une grande réputation, loin d’être usurpée. Durant les années 80, sa notoriété
est arrivée jusqu’au Etats Unis, d’où
une grande chaîne de radio a envoyé une équipe
pour enregistrer l’événement en direct.
Il m’est arrivé une fois, ne pouvant
pas pénétrer dans l’enceinte de la basilique
à cette occasion, de faire, à pied, le tour des trois
églises du centre de Piekary : la Basilique, la Kalwaria
et l’église de Szarlej..., pour prendre la température,
sentir l’ambiance de chacun de ces endroits, ambiances différentes.
Une fois, j’étais bien jeune, Noël
s’annonçait bien triste et pluvieux. Nous sommes partis
à la messe de minuit sous la pluie, nous sommes sortis de
l’église aux environs de 2 heures du matin pour découvrir
un manteau de neige de 20 bons centimètres, une nuit claire,
une nuit blanche, une nuit de Noël.
Si vous voulez savoir ce que le mot Noël veut
dire, allez donc en Pologne à cette occasion. Allez donc
dans une famille polonaise, une simple famille polonaise, et laissez-vous
faire. Oubliez le foie gras, le saumon, la dinde aux marrons, vous
n’en aurez pas… Mais vous allez savoir ce que le mot
FETE veut dire, ce que le mot FAMILLE veut dire, ce que le mot RECUEILLEMENT
veut dire. Vous passerez des moments tellement forts, tellement
inoubliables, plein d’arômes, de parfum que n’existent
que là bas….
Et s’il vous reste quelques jours de congé
supplémentaire… poussez le plaisir jusqu’à
la Saint Sylvestre….
Mais ça, c’est une autre histoire….
Sabine Raffin
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