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Spécial Noël: Anecdotes polonaises

En Pologne, Noël est une grande fête où se mêlent toute sortes de traditions et de coutumes. Certaines nous sont totalement inconnues en France
 

Histoire d'une carpe (ou deux, voire plus...)

Tout le monde le sait, pas de veille de Noël en Pologne, en Silésie, sans carpe, ou deux, ou même trois, puisque le 24 décembre est une journée sans viande. Voici donc la triste histoire (triste pour les carpes j'entends) de la carpe polonaise de Noël.

Un impératif d'abord, le poisson s'achète vivant. A l'époque de mon adolescence (hier donc) et puis (forcément) de mes jeunes années, les étals n'étaient pas aussi bien pourvus que maintenant, les étals des poissoniers y compris. C'était donc une course effrenée après la bête, le bouche à oreille fonctionnant à merveille.

Dès qu'il y avait une livraison de carpes quelque part, on le savait immédiatement, les symptômes en étaient visibles, d'abord mes tantes, qui se mettaient à crier dans la cage d'escalier "Jadwis (c'est le doux prénom de ma maman - Jadwiga, donc), ils ont livré les carpes", "ils" on se savait pas trop qui, où d'ailleurs non plus, mais là c'était facile, il suffisait de suivre les mecs, ou les mémés pourvus de sacs filets contenant les nobles poisssons bien vivants, en fait on remontait leur chemin, bien tracé par ailleurs. Et puis nous-même (je vous rassure, c'était jamais moi, surtout mon papa, il avait le temps, tout retraité qu'il était, de faire la queue) on ramenait nos bêtes à la maison. Et puis là, un nouveau branle bas de combat, il fallait les garder vivants, le plus souvent, on sacrifiait à cet effet la baignoire familiale (quand il y en avait une). Les bêtes avaient besoin de pas mal de confort pour pouvoir survivre pendant les quelques jours nous séparant de Noël, même au détriment de notre propre confort, et puis elles étaient toujours plusieurs, faut croire que les carpes n'aiment pas la solitude.
Eh oui, je ne vous le fais pas dire, plus de bain ni douche pendant les quelques jours nous séparant de Noël, mais là pas de commentaires, s'il vous plaît.... s'il vous plaît, j'ai dit..... je vous vois venir avec vos gros sabots......
On passait des heures à observer les pauvres poissons évoluer dans notre petite salle de bain, ouvrir et fermer la bouche, les "écoutilles".... et puis c'est vrai qu'elles font pas beaucoup de bruit, les carpes (d'où l'expression "muet comme une carpe", mais je vous rassure, ça ne me concerne pas). Des fois ça sautait à l'extérieur, c'est terriblement costaud, les carpes. Et puis il fallait faire vachement gaffe de ne pas faire tomber le savon dans la marre à poisson improvisée, il fallait que la bête arrive au sacrifice bien vaillante et en pleine forme. Bref, on guettait attentivement les signes vitaux des bestioles, jusqu'au moment de l'ultime sacrifice.

© Les deux dessins qui illustrent cette anecdote sont de Sylvain Savoia et sont tirés de l'album "Marzi la petite Carpe" de Marzena Sowa publié aux éditions Dupuis. A lire absolument ......


L'exécution se faisait vers la veille de la veille de Noël par un coup de marteau sur la tête (celle du poissson, pas la mienne, je vous rassure.....) et c'était mon papa l'exécuteur final. Voici le procédé : il sortait la carpe de la baignoire familiale (quand même), on l'enveloppait dans un torchon (c'est glissant un poisson, vous le saviez ?) et après avoir soigneusement repéré le côté tête (eh oui, les carpes ont une tête, vous ne le saviez pas ?), mon papa tapait dessus avec un marteau. La bête assomée à mort, la préparation commençait, coupage de la tête (toujours la même, une par poisson), vidage, etc.... Les poissons étêtés et vidés reposaient dans un plat sur le fourneau d'une des chambres. Je vous rassure, le fourneau, à charbon évidemment (je vous rappelle que nous sommes en Haute Silésie, à Piekary, chez moi) ne fonctionnant pas pour la circonstance, bien évidemment, en hiver, on ne chauffait que les pièces à vivre, les chambres servant de frigo..... Et nous, les gamins, on n'arrêtait pas d'aller voir si les carpes étaient toujours là. C'est vicieux, une carpe, même tuée, elle saute, je vous jure, j'ai vu des morceaux de carpe sautiller sur le plancher en bois de la chambre-frigo..... une fois même le morceau a sauté dans un coin sous le grand lit et on avait un mal fou à le récupérer...et dans un état, c'est qu'il y en a de la poussière dans des recoins sous les lits, même en Pologne.

Donc voilà, je reprends mon histoire, les morceaux de carpes, dûment panés et frits à la poële, finissaient le soir du réveillon de Noêl sur la belle table, dressée à l'avance, devant le beau sapin scintillant, et on s'assayait devant dès que la première étoile apparaissait dans le ciel.
Bien avant, bien entendu, il y en avait des choses à faire. Et puis la baignoire étant disponible de nouveau, il fallait rattraper le retard de lavages accumulé depuis plusieurs jours..... mais ça, c'est une autre histoire....

La logistique de la vaisselle de Noël

Voilà, une fois le repas de la veille de Noël terminé, les fonds des assiettes vidés de tout ce qui a fait la joie des estomacs et avant de s'asseoir autour du sapin et entamer les incontournables cantiques, fallait penser logistique, c'est à dire faire la vaisselle de Noël.

Les parents étaient dispensés de cette tâche, celle qui leur incombait, c'était la très lourde responsabilité d'ouvrir la fenêtre de la grande pièce à vivre au Petit Jésus, qui était censé nous amener nos cadeaux.

Eh oui, pas de Père Noël en Silésie, après la visite de Saint Nicolas quelques semaines auparavant, accompagné de son incontournable Père Fouettard, c'était le Petit Jésus qui, dès sa naissance, avait la lourde charge de nous pourvoir, nous les petits Polonais, en cadeaux. Il fallait être vachement précoce comme bambin pour y arriver. Nos parents l'aidaient, ils ouvraient la fenêtre, le Petit Jésus leur passait les cadeaux par la fenêtre, ils les installaient au pied du sapin et nous on n'avait qu'à nous précipiter dessus.....

Oh la ! Pas si vite, d'abord il fallait la faire la vaisselle et là, c'était tout une logistique vachement compliquée à mettre en place. On était quatre : Zosia, ma soeur, Janek et Marian, mes frères et puis moi bien sûr. Moi, étant la petite dernière, les pires corvées étaient à moi (surtout si Sophie, ma soeur, prétend le contraire, ne l'écoutez pas....). Janek, l'aîné, faisait le chef, c'est à dire il distribuait les tâches, supervisait leur accomplissement, nous tapait dessus si ça n'allait pas assez vite et surveillait par le trou de la serrure que la livraison des cadeaux par le Petit Jésus se passe bien.... Nous, les trois restants nous nous disputions, comme d'habitude, qui faisait la vaisselle, qui l'essuyait et qui la rangeait. On préférait tous le lavage, l'essuyage venant en dernier et je ne vous fais pas dire, le plus souvent, c'est moi qui essuyait.

C'était toujours mouvementé et si on réussissait à ne pas se taper dessus à cette occasion, c'est qu'on avait peur que les bruits de nos disputes arrivent aux oreilles du Petit Jésus qui devant la fenêtre faisait sa livraison annuelle, des fois s'il rebroussait chemin avant de déballer les cadeaux qui devaient nous revenir.... vous vous rendez compte....

On prenait donc notre mal en patience, on la finissait la vaisselle. Bien lavée, bien essuyée, elle reprenait le chemin du buffet de la cuisine et pour une fois pas une petite cuillère ne trainait. Faut dire que Maman nous laissait pénétrer dans la pièce à cadeau quant tout était parfaitement rangé et pas avant. Je peux vous assurer sans trop mentir pour une fois, que cette fois-ci, ça ne trainait pas le rangement..... le plus souvent tout était fini avant que le Petit Jésus ne finisse sa livraison... Alors, là, on n'en pouvait plus, on voulait tous accéder au trou de la serrure, jalousement gardé par Janek qui en qualité de l'aîné ne faisait pas dans la dentelle... on s'en est ramassé, des coups, nous tous, moi surtout, la petite dernière que j'étais, mais ça c'est une autre histoire.....

Sabine Raffin
Sabine@beskid.com

 



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