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Un Noël en Pologne.

 
Décembre 1991.
Ne pouvant pas résister aux insistances de Adam et Maria nous avons décidé d’aller passer les fêtes de fin d’année chez eux, en Pologne.
Ne m’en parlez plus ! C’était peu après la chute du mur de Berlin et de « l’ouverture » des frontières. Je n’avais jamais vu une circulation pareille. Je pense que chaque Polonais qui avait pu mettre un peu d’argent de coté était venu le dépenser dans nos contrées capitalistes. Les 1450 kilomètres, que nous parcourions d’habitude en 16 ou 17 heures nous ont pris cette fois plus de 25 heures. Des énormes bouchons bloquaient la circulation aux abords des grandes villes en Allemagne et en Pologne sur les 300 premiers kilomètres après la frontière. Justement, parlons en de la frontière, il y avait une file de voitures s’étendant sur 7 à 8 kilomètres à Gorliz (Zgorzelec) du coup, plus de 4 heures d’attente.
Exténués, nous arrivons à Zawoja où notre venue est fêtée comme il se doit, à coup de vodka, et on entend non pas, le « plof » d’un bouchon qui saute, mais plutôt le « vrrrr » d’un bouchon qui se dévisse.
Nous nous installons et déballons soigneusement les vêtements que nous avions emportés pour le réveillon. Ma compagne, ses robes à paillettes (elle est d’origine polonaise rappelez-vous) et moi plus sobrement le classique costume - cravate.
Nous sommes encore à trois jours du réveillon et Adam me demande de le conduire en voiture faire les derniers achats pour le repas de fête. Il me dirige vers un petit village du nom de Tomice, à quelques kilomètres après Wadowice, où il est certain de trouver des carpes vivantes, vendues dans des baignoires sur le bord de la route.
Je le regarde effectuer ses achats. Les carpes sont effectivement vivantes et pesées ainsi dans une balance qui n’en est pas à 100 ou 200 grammes près. Déjà, avec les bonds que les carpes font dans les plateaux il faut beaucoup de chance pour deviner le poids juste. C’est vraiment au petit bonheur la chance que le poids, et partant de la que le prix est défini. Enfin, après un détours par l’un ou l’autre « sklep » nous rentrons.
Les carpes qui avaient été ramenées vivantes ont été mises à dégorger dans une grande bassine d’eau fraîche, renouvelée régulièrement.
Adam m’explique alors que ces carpes vont constituer le plat principal de la soirée du réveillon. Demain, après qu’elles aient passés une journée et une nuit dans l’eau fraîche, il va les préparer pour la veillée de Noël, car une fois tuées et nettoyées elles doivent encore passer toute une nuit et un jour à « cuire » dans du jus de citron.
Gourmand et curieux de nature, je suis impatient de voir comment il va préparer les carpes. C’est maintenant le moment, elles ont bien dégorgé et il est temps de les préparer pour les faire mariner dans le jus de citron.
Oui, bon d’accord, mais comme une carpe a la vie dure et qu’elle ne veut pas mourir de sa belle mort ; même après un quart d’heure hors de l’eau, Adam décide de les tuer. Oui, mais comment ?? Chacun donne son avis, personnellement je propose de leur couper la tête, mais c’est finalement la méthode polonaise qui l’emporte.
Nous descendons dans la cave cuisine, Adam et moi. Pendant que je tiens les carpes sur la table, Adam leur fracasse la tête d’un coup de marteau. Lorsque je dis fracasse, je devrai plutôt dire leur « explose » la tête car ne se rendant pas toujours compte de sa force, le coup de marteau qu’il assène aux malheureuses leur explose en effet, littéralement la tête. Je suis couvert d’os, d’écailles et d’éclaboussures sanguinolentes de toutes sortes. Il y en a jusqu’au plafond. Une maigre consolation, les carpes n’ont certainement pas dû souffrir.
Reste maintenant à les nettoyer, les ouvrir complètement en deux et les aplatir à grands coups de taloches. Je dois avouer que j’ai trouvé ce système assez rudimentaire, mais enfin, nous sommes en Pologne…
Après avoir mis les carpes, ou plutôt ce qu’il en reste, mariner dans le jus de citron, Adam me demande de l’accompagner dans un « sklep » voisin pour acheter une autre variété de poisson. Il s’agit ici d’acheter des filets découpées dans un bloc de poisson congelé, mais qui est sorti tous les matins du congélateur, puis laissé dans un bassine sur le comptoir où il se dégèle doucement, étant ainsi plus facile à découper. Il sera replacé le soir venu dans le congélateur en attendant le lendemain. Heureusement, nous sommes en hiver et la température, même à l’intérieur du magasin n’est pas très élevée. Elle est toutefois suffisante pour dégeler en partie le bloc de poisson.
Je ne sais pas combien de fois ce que nous allons manger a été congelé, décongelé, recongelé et ainsi de suite, mais il n’a pas l’air d’être trop mal en point, même si son odeur est quelque peu « persistante ».
Ces tranches de poisson seront , elles aussi cuites dans du jus de citron, mais poêlées juste avant d’être servies (peut être pour venir à bout des dernières bactéries..)
Nous sommes maintenant le 24 décembre et mis à part l’immense sapin, qui va du sol au plafond dans la salle à manger, et la crèche qui couvre la moitié de la pièce, rien ne distingue ce jour d’un autre. Tout le monde travaille comme d’habitude et à notre question de savoir, Maria nous explique que la veillée de Noël, en ce y compris les derniers préparatifs, commence après le coucher de soleil.
Nous attendons, en chapardant les bonbons dont le sapin est généreusement garni, mais surtout avec impatience ce fameux coucher de soleil afin d’aller nous préparer. Moi, pauvre béotien, je m’imaginais un réveillon comme chez nous. Car, même si comme ici, le réveillon de Noël est fêté principalement en famille, il reste néanmoins un soir de fête. Mais, (comme je l’ai souvent dit, il y a toujours un « mais » en Pologne) en Pologne la fête de Noël qui est une fête chrétienne prend réellement et vraiment tout sa signification. Du moins, dans une famille profondément catholique et vivant dans les Beskides.
Ils se préparent pour le repas, qui va durer jusque minuit, mais ils s’habillent comme ils le font pour les jours ordinaires. Rien ne distingue particulièrement ce soir d’un autre soir. Du moins jusque maintenant. Jeanine a l’air toute désolée de ne pas sortir sa belle robe et c’est en jeans et pull à col roulé que nous assisterons au repas.
Une fois la nuit tombée, et avant de commencer le repas, ils sortent tous des « hosties » de grandes tailles qu’ils se partagent entre eux et nous, en souhaitant toutes sortes de bons vœux, dont principalement ceux de bonheur, santé et prospérité.
Maria met la table et commence à servir le repas composé de douze plats différents, mais uniquement à base de poisson et de potage. Aucun plat de viande ne sera servi et aucune boisson alcoolisée non plus. Devant notre étonnement, et les bouteilles que nous avions amenés, ils nous expliquent qu’ils ne peuvent pas boire d’alcool avant d’aller à la messe de minuit. Le repas sera donc arrosé de « kompot » maison. (fruits stérilisés auxquels ils ajoutent de l’eau tiède)
Une fois la table dressée, avec un couvert supplémentaire devant une place vide, le premier plat est servi (il y en a douze à prendre avant la messe de minuit, n’oubliez pas). Je fais un rapide calcul et je me dis que même en mangeant doucement nous aurons fini bien avant minuit.
Erreur, car entre chaque plat la famille au complet chante des « kolede » (cantiques de Noël) Pour l’athée que je suis, je dois avouer que c’est impressionnant de voir avec quelle ferveur ces gens s’accrochent à la religion. Maria qui dirige la chorale du village a une voix qui me flanque des frissons partout, même si je ne comprends toujours pas ce qu’elle chante.
Peu avant minuit, les voyant se préparer à sortir, je propose de les conduire en voiture à l’église, distante tout de même de 5 kilomètres environ. Je n’ai jamais vu autant de monde à pieds sur la route. J’ai l’impression que chaque maison du village est vide. Il y a d’ailleurs pratiquement autant de personnes en dehors de l’église que dedans.
Profitant qu’ils sont à la messe, nous allons placer sous le sapin les cadeaux que nous avons ramenés à leur intention. Nous devons agir comme des Sioux sur le sentier de la guerre, car une des filles de la maison est grippée et dort dans la pièce où se trouve le sapin.
Nous mettons aussi le champagne au frigo et à l’heure convenue je vais les rechercher. Reste maintenant à les faire entrer dans la pièce où se trouvent les cadeaux, mais comme il y a une des filles qui y dort, personne ne veut se risquer à la réveiller.
Finalement, Jeanine qui s’impatiente dit à Maria qu’il lui semble que la malade vient d’appeler. Celle-ci va voir dans la pièce et voyant que sa fille dort s’apprête à ressortir sans bruit, mais son regard se porte vers le sapin et elle voit ainsi les paquets. Elle pousse alors un tel cri que la malade se réveille et qu’il flanque la frousse au reste de la famille. Ne sachant toujours pas ce qui se passe dans la pièce, la ciocia n’ose plus bouger, il faudra même insister pour qu’elle vienne à la recherche de son cadeau.
C’est alors le délire, la malade se porte mieux tout à coup et c’est au milieu des rires et des cris qu’ils déchirent les emballages que nous avons mis tant de temps à confectionner. La messe de minuit étant passée, nous pouvons maintenant déboucher quelques bouteilles et c’est finalement bien plus tard que nous prendrons la direction de notre lit, car demain est un autre jour, mais nous ne le savions pas encore, il sera nettement plus chargé que celui qui vient de s’écouler.
Mais, afin de ne pas faire trop long et si vous le voulez bien, je vous conterai la journée du 25 décembre le mois prochain.
Vanhoorne Jean-Marie .
 



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