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La Pologne pour l’Europe : petits échantillons.

« La Pologne ne peut pas seulement apporter de nouveaux marchés à l’U.E., mais aussi une expérience historique » ( T.Mazowiecki - printemps 2004).

La Pologne existe au sein de l’Europe bien avant son intégration dans l’U.E. C’est un lieu commun que de l’affirmer. Pourtant, qui connaît bien les circonstances exactes de son adhésion, de la « longue marche » vers l’U.E. depuis son émancipation de 1989 qui l’a précédé et surtout de ses véritables aspirations, souvent mal comprises par les opinions des pays membres « plus anciens » de la communauté ? Les débats sans fins, les polémiques déroutantes, les déclarations blessantes même ont, depuis le début du processus d’adhésion de la Pologne, accompagné sa route vers la plein reconnaissance qu’elle mérite à l’extérieur et sa « transformation » volontaire à l’intérieur.D’où viennent les incompréhensions avec les partenaires, même les plus sincères, comme la France et ses réticences à l’intérieur ?Les lignes qui suivent n’ont pas d’autre ambition que de tenter de donner quelques angles de vue, parmi tant d’autres, au sujet des difficultés mais aussi des victoires de la Pologne dans sa route vers l’Union Européenne. De plus en plus de voix soulignent, d’ailleurs, que la Pologne est une chance pour l’Union, tout autant que la réciproque, purement économique. C’est peut être là le nœud du problème : la Pologne par son histoire et sa « civilisation » si riches et si complexes ne pose-t-elle pas la véritable question qui fâche : qu’en est-il de la construction européenne politique, au sens premier du terme ?

LE TRAVAIL DE TITAN

Quelque soit le côté duquel on se place (hors de Pologne/en Pologne), personne ne conteste la difficulté qui a consisté (et qui consiste toujours, d’ailleurs, l’intégration « réglementaire » n’est pas terminée à proprement parler) pour la jeune République de Pologne, qui a succédé, en 1989 à la République populaire, à transformer presque entièrement les structures d’administration de sa société ainsi que de réformer, à l’aune des critères de convergences et des normes et règlements européens, son système économique, ses « forces vives ». En simplifiant, la Pologne a dû accomplir en 10 ans ce que d’autres pays ont progressivement fait évoluer en 40 ans.En effet, même si dès 1990, la Pologne a souhaité intégrer la C.E.E.(processus lancé officiellement par le programme PHARE de 1989 et par l’accord d’association Pologne-C.E.E de décembre 1991),la Pologne ne s’est lancée dans sa mutation vers la conformité européenne qu’en 1994 (rédaction du livre blanc de la commission européenne, conditions d’adhésion et candidature officielle).Même si , par la suite, les termes de l’acceptation du dossier polonais ont été négociés en prenant en compte les spécificité du pays, il a fallu intégrer la législation, la standardisation, les changements structurels en seulement une décennie. A cet égard, les accords de Copenhague, présentés comme problématiques et symptomatiques de la soi-disant « réticence des futurs nouveaux adhérents »,thèse largement répandue notamment dans les médias français, ont constitué un point d’orgue de ses travaux pratiques imposés. Comme le résume H.Wozniakowski (président des éditions Znak, membre des instances d’Unia Wolonosci) ,ils ont été le moment le plus tendu et le révélateur des difficultés à surmonter pour la Pologne, pourtant déjà, à l’époque, dans la dernière « ligne droite », leur profonde mue vers les standards européens de l’U.E. Il faut souligner également comme le prétend Y.Zlotowski du centre d’études et de recherches internationales de Paris « que l‘incertitude concernant la date d’entrée de la Pologne dans l’U.E. est sans nul doute un instrument de la stratégie de la commission »et a constitué un élément supplémentaire de frustration et de doute de la part des polonais dans cette « longue marche ».En effet, l’agenda 2000 avait fait l’hypothèse d’une adhésion de six nouveaux membres (Pologne, Hongrie, République Tchèque, Slovaquie, Slovénie et Chypre) pour 2002, la commission et le parlement tablant, eux, sur 2003. La plupart des ministres du gouvernement polonais ayant approuvé l’agenda 2000, fin 1999, prévoyaient 2002. Lors d’une conférence intergouvernementale, le ministre des affaires étrangères, Mr B.Geremek, confronté aux critiques allemandes à propos de la lenteur du processus, a promis que le pays allait accélérer les choses et que les atermoiements dans le domaine de l’environnement ou concernant la loi sur les certifications seraient rapidement résolus.La commission a alors glissé qu’une adhésion en 2003 était, dans ce cas, envisageable. Plus « politique », l’ambassadeur de l’U.E. à Varsovie a déclaré en juin 1999 qu’il ne fallait pas de l’Europe qu’elle s’adapte à telle ou telle exigence politique de la Pologne.

S’il devait y avoir un seul domaine qui focaliserait dans le même temps l’immense œuvre de changement qui échoit à la Pologne dans ses propres entrailles, et les craintes que celle-ci engendre à l’intérieur du pays, ce serait celui de l’agriculture. L’importance numérique de la population agricole polonaise(près de 20%) est un fait connu, comparativement à sa part moyenne en U.E. (qui ne dépasse pas les 10% de la population active) : alors même que partout ailleurs en Europe centrale et orientale, elle a décru à partir de 2000 (Roumanie exceptée), elle a continué de progresser jusqu’à cette date en Pologne, pour de nouveau décroître depuis 2000 ( 27% de la population active, dont 80% possèdent moins de 10 hectares en 2000 ; contre 19% de la population active en 2005).Chiffre encore plus parlants si on les compare au voisin tchèque : la part de la population active agricole y est passée de 9,7% à 5,1% entre 1989 et 2004. Or si cette population croît jusqu’en 2000 en Pologne, la part de l'agriculture dans le PIB, elle, décroît régulièrement depuis 1989 puisqu'elle est passée de 14,9 % en 1990 à moins de 5,5 % en 2003. En outre, le revenu paysan moyen est passé d’un facteur 151 en 1989 à un facteur 38 en 2004 et ce malgré les 168 M d’euros reçus entre 2000 et 2004 dans le cadre du programme SAPARD de l’U.E. puis les subsides des fonds structurels depuis. Il ne s’agit pas de savoir,ici d’où vient la principale responsabilité de ce qu’il faut bien appeler, à long terme, la disparition des paysans polonais : soit la « philosophie » de la commission européenne qui a toujours clairement prôné une agriculture intensive et « industrielle, même si des aides sont également données dans un sens contraire à certaines régions ou bien alors la mauvaise politique des gouvernements successifs polonais dans la répartition et les priorités de distribution des aides (successivement PHARE, SAPARD et fonds structurels).Toujours est-il que pour l’opinion polonaise, le malaise est là ! Il s’accompagne d’ailleurs d’un véritable clivage dans l’écart qui se creuse entre la richesse et les revenus des différentes couches de la population : que vont devenir ces milliers de paysans à « recycler » ?

LE DIFFICILE CHEMIN

Un clivage dans la répartition des richesses entre les différentes couches de la société s’est creusé inexorablement depuis 1990, mais le fait qu’il s’accélère depuis 1999 et que, de manière concomitante, les chiffres du chômage en Pologne se soient dramatiquement accrus depuis cette même période (1999 : 10,9%, 2005 : 17,9%), ont fait de plus en plus penser à de nombreux polonais, que la marche vers l’Union jusqu’en 2004 (ce fameux « respect des critères de convergence ») puis le début de sa vie à l’intérieur, furent, véritablement un chemin trop difficile, une pente qu’il n’aurait peut être pas fallu prendre, du moins pas de cette manière. Bien sûr, au final, le polonais ne doute pas de l’intérêt de la Pologne à faire partie de l’Union, même si son niveau de vie ne croît que lentement pour l’instant. C’est une grande victoire de la Pologne dans l’U.E. de ne pas autant douter autant que cela du « sens de l’histoire », malgré les pilules amères (les partis portés majoritairement au pouvoir depuis 1990 ne sont-ils pas tous « européens » ?).
De nombreuses voix se font entendre depuis lors, en Pologne, mais aussi en France, pour souligner que, peut être, ce malaise passager des polonais réside dans le fait que la construction et le processus d’intégration ne s’est fait que sur des critères techniques, comptables, dans la sphère économique, la Pologne aspirant à autre chose, de plus politique.
Un exemple peut être parmi d’autres : le coût social des privatisations. La société polonaise n’est pas prête à entendre l’argument « comptable » de l’accroissement du niveau de vie global,de l’équilibre classes sociales, ou plutôt, de leur disparition, mais celui du statut professionnel, du plein emploi,de la solidarité nationale, notions plus ambitieuses et vastes, avec lesquelles ils ne font pas, à tort ou à raison, de lien.
Ce sentiment se fait jour surtout chez les classes ouvrières de la population polonaise, celles là mêmes qui avaient été à l’origine du renversement du système communiste polonais de la République populaire, en 1989. Maria Jarosz, de l’académie polonaise des sciences souligne, en effet que :
«  Le paradoxe de l’histoire a voulu que la classe, qui a enterré le Socialisme réel, qui croyait en son rôle dirigeant et qui s’attendait à recevoir de "son" gouvernement, dans le cadre du nouveau système politique, ce qui lui était justement dû, paye les frais les plus lourds pour la transformation des formes de propriété. Ces frais peuvent être mesurés objectivement, mais ils sont aussi ressentis subjectivement comme une injustice en comparaison du passé et par rapport à la situation de ceux qui bénéficient des avantages du nouveau système.
Chez les ouvriers, constituant la majeure partie (75%) des employés d’entreprises, ce sentiment d’injustice est le plus fort. Il est lié non seulement à des facteurs économiques, déterminants pour tout individu, mais aussi à l’incompatibilité de la notion de "rôle dirigeant de la classe ouvrière", toujours enracinée dans la mentalité collective, à sa participation décisive au renversement du socialisme réel - avec le sentiment tout nouveau de sa moindre valeur par rapport aux autres couches sociales. ("C’est nous qui les avons portés au pouvoir, et ils nous traitent encore plus mal que les autres", "... les ouvriers ne comptent plus, tout ce qui compte c’est la classe moyenne". "... pour eux les richesses, pour nous la pauvreté et le chômage"). Les ouvriers perçoivent aussi la tendance à déprécier la valeur du travail honnête et bien fait, au profit de l’esprit d’entreprise et de débrouillardise qui sont les plus côtés. Le résultat de ce phénomène est le sentiment d’injustice sociale, d’impuissance et d’asservissement. »

La société polonaise réagit maintenant plus faiblement aux émotions, slogans et symboles. Elle commence à refuser le programme économique basé sur la nécessité continuelle de privations, d’autant plus que leur poids est réparti inégalement. Il est de plus en plus visible que les ouvriers se révoltent contre une situation se caractérisant par le fait que la classe moyenne s’enrichit excessivement et devient provocante par les signes extérieurs de sa richesse, alors que les appels à la patience et à l’humilité ne s’adressent qu’aux plus pauvres.
Les données des statistiques nationales, et les chiffres fournis par différents ministères, institutions et organismes de recherche montrent qu’on assiste à un phénomène de stratification de la société et à sa paupérisation. L’élément de base de cette situation est la progression du chômage. Il est perçu comme la menace la plus grave : au printemps 1992, une partie des salariés des entreprises nationales sont prêts à consentir des baisses drastiques de salaire afin d’éviter à tout prix des réductions d’emploi.

Pour en revenir au processus d’intégration européenne proprement dit, l’opinion publique polonaise, mais aussi sa classe dirigeante au plus haut niveau, tous partis confondus, ont très mal ressenti ce qui a été appelé comme un « mal nécessaire », le marchandage de l’adhésion.
Un témoignage intéressant peut nous être donné encore par Mr H.Wozniakowski :
«  En février 2004, plus de 60% de la population polonaise déclare nettement sa volonté d’intégrer l’UE. 22 à 23% sont résolument opposés. Ces résultats – un peu moins bons qu’au moment du référendum – résultent de la légitimité en baisse du gouvernement. Plusieurs partis d’extrême droite – dont la Ligue des familles polonaises - , Loi et justice, et un parti de type poujadiste appelé Samoobrona (Autodefense) produisent un discours très critique à l’égard des institutions communautaires. La position du gouvernement de L. Miller a été encore amoindrie par les négociations avec l’UE. Les négociations de Copenhague (2002) ont été présentées comme un marchandage à la fois détaillé et rude. Reste que l’Europe de Jean Monnet et de Robert Schumann a disparu derrière des questions de quotas et de périodes transitoires. Les aspects techniques ont caché l’idée européenne de solidarité au service d’un espace de coopération et de paix. Le sommet de Copenhague a été présenté comme le combat de la Pologne contre les membres de l’UE15 et non comme la construction d’un espace de connivence. Tous les partis politiques polonais se sont inscrits dans cette perspective conflictuelle. Résultat, le public a perçu ces négociations comme mettant en jeu l’intérêt national contre l’UE. Les rares voix exprimant une autre sensibilité ont été peu entendues. Les pays candidats comme les pays déjà membres ont tous une part de responsabilité ».
Là encore, c’est une très grande victoire de la Pologne que de continuer à surmonter ces freins pour continuer sur ce chemin difficile de l’existence et de son affirmation dans l’union européenne, qu’elle soit de nature seulement économique ou plus largement, politique, donc.

LA POLOGNE, CHANCE POUR L’EUROPE

Si la Pologne devait emmener quelque chose à l’Union européenne en dehors de ces nombreux et nouveaux marchés, il faudrait chercher sans aucun doute dans certaines de ses aspirations qui n’ont pas été prises en compte dans son processus d’intégration, mais que l’union politique aurait un grand profit à examiner de prés.
Un certain sens des responsabilités et une cohérence du peuple polonais vis-à-vis du projet européen.Si la situation politique intérieure de la Pologne penche volontiers vers l’agitation et quelquefois l’instabilité, les polonais n’oublient pas que l’Union Européenne n’est pas qu’un ensemble de pays coopérants, mais qu’elle a pour ambition l’unification des peuples d’Europe au sein d’une même communauté de vie, sous tous ses aspects.Si de France, le premier Mai 2004 a souvent été perçu (il y a des exceptions) comme la date de l’intégration « à l’Europe de dix « nouveaux » pays », de Pologne, on y a mis plus de signification historique et politique : il s’agissait, rien de moins que de la réunification de l’Europe qui pouvait respirer enfin de ces « deux poumons » (pour reprendre l’expression de Jean-Paul II). Ainsi, En ratifiant le projet de traité de constitution européenne, malgré une opinion très partagée (les sondages de l’ensemble de l’année 2004, année charnière, ont balancé très prés de la ligne rouge du rejet du projet européen actuel, il faut rappeler que le projet d’intégration ne recueillait que 55% dans la plupart des sondages des années 1999 et 2000) et l’entrée à la Sejm, assez massive de « Loi et Justice » et « Ligue des Familles de Pologne », moins importante pour « Autodéfense » au cours des dernières années, partis ouvertement opposés au processus en cours à l’époque d’intégration dans l’Union Européenne, (avec des nuances notables tout de même, qui va du retrait pur et simple à la renégociation ), la Pologne a sauvé l’essentiel et s’est montrée, de ce point de vue, plus engagée vis-à-vis de l’Europe que nombre de pays voisins, alors qu’on lui reprochait une attitude négative.
La Pologne est un pays à tradition démocratique ou du moins participative très ancienne, même sous les monarchies qui étaient électives dès le 16ème siècle. Rappelons que si la Pologne a été la grande puissance européenne du 16ème siècle, celle-ci ne s’est pas bâtie comme un empire de conquêtes militaires, mais par assimilation de peuples d’ethnies et de religions différentes et par « mariage » confédéral avec le grand voisin balto-ruthène pour former la république des deux nations avec le grand duché de Lituanie, exemple unique dans l’histoire européenne d’une entité bicéphale et homogène. Les rois de Pologne, depuis cette période jusqu’à leur dernier, en 1793, étaient élus par une assemblée, certes d’aristocrates, mais il s’agissait bien d’une assemblée élective qui fonctionnait sur le modèle de la représentativité. La première grande constitution inspirée de la révolution française était une constitution polonaise, celle du 3 mai 1791 (fête nationale du pays) libérale et équilibrée, qui laissait sa place à tous les peuples du royaume.
La Pologne a longtemps présenté avec bonheur le visage d’une Société multiculturelle et ouverte, jusqu’à la catastrophe de la seconde guerre mondiale. Là également, c’est une tradition millénaire du pays. Songeons que, si la Pologne actuelle est homogène en terme de population polonophone et catholique (à plus de 97%), la plus grande période de l’histoire du pays a vu vivre sous la couronne, puis la république de nombreuses nationalités qui, chacune, se voyait automatiquement octroyer les mêmes droits. L’éminent slaviste, l’historien britannique Norman Davies parle de la Pologne du 15ème au 19ème , sans hésiter, comme « d’un miracle permanent et d’un melting polt sublime et enrichissant, unique au monde, peut être la civilisation moderne la plus équilibrée et tempérée qui fût ». En 1939, la Pologne comptait pour prés de 10% de sa population des citoyens orthodoxes (biélorusses et ukrainiens), pour 15% des ukrainiens catholiques-grecs (les uniates) et pour plus de 10%, des juifs. Ces derniers ont développé la plus belle partie de leur riche culture au sein de cette Pologne. Marek Alter parle de « Pologne juive, de juifs de Pologne, d’un peuple qui, nulle part ailleurs qu’en Pologne n’aurait pu s’épanouir et se rendre éternel à la mémoire, lié à cette terre autant qu’à Canaan ». Dés Kazimierz Wielki "le Grand" (roi de 1333 à 1370), les juifs ont trouvé en Pologne un refuge et une charte leur garantissant une citoyenneté à part entière, alors que partout ailleurs en Europe, ils n’étaient pas les bienvenus. Il faut ajouter à cet héritage historique peu connu à l’extérieur de la Pologne, une ouverture vers la France qui dépasse la simple nostalgie pour Napoléon Ier ou le maréchal Weygand, au temps ou la France se battait aux côtés des polonais pour sauver leur liberté. Les liens entre la France et la Pologne ont été le sujet de nombreuses thèses, études, ouvrages entiers qui n’ont pas encore épuisé le sujet. Un lien très fort, de l’ordre peut être de l’insondable a toujours uni les deux pays. Nous ne donnerons qu’un seul exemple de la persistance de se sentiment chez les polonais de l’an 2005, alors qu’on parle pourtant de la généralisation de la culture et du mode de vie anglo-saxon en Pologne :62% des polonais souhaiteraient apprendre le français s’ils avaient le choix d’une seule langue étrangère…(Enquête de l’Université de Lodz, sciences sociales, 2004).
La société polonaise est éduquée et responsable, le niveau moyen d’enseignement reste élevé, avec une forte connaissance de sa propre histoire. Il ne s’agit pas d’affirmer que le polonais moyen est plus intelligent et capable de grandes choses que les autres, mais bien de souligner que, peut être est-ce une leçon de l’histoire de ce peuple héroïque qui a toujours ressuscité des pires malheurs, le polonais de la rue, même parmi les générations les plus jeunes, possède des connaissances remarquables, suffisamment, ergoterons-nous, pour donner son avis sur tout et contredire son voisin sur n’importe quel sujet, de la Philosophie grecque, à la meilleure méthode de brasserie. De là, peut être aussi, la difficulté de ce pays a acquérir un gouvernement stable…J’ai été personnellement frappé d’être le témoin de la récitation par cœur de plusieurs pages prises au hasard dans les 350 que compte « Pan Tadeusz » (le grand poème national en vers d’A.Mickiewicz, écrit en exil en 1834 alors que la Pologne n’existait plus, une des grandes références littéraires et historique du pays) sans aucune faute, par mes deux beaux parents, qui n’avaient pourtant jamais fait d’études de lettres…Cette richesse là ne serait-elle pas également précieuse pour l’union ?

La société polonaise est solidaire. Les polonais sont solidaires entre « eux » et envers les autres (soulignons, par exemple, le rôle d’action humanitaire irremplaçable de l’AHP à travers le monde).C’est également une banalité que d’énoncer cela, alors que le principal mouvement politique connu à l’étranger de Pologne est le syndicat « Solidarnosc ». Mais alors que la solidarité est justement une des notions fondatrices du traité de Rome (inscrite dans son préambule), ce qui vient « d’en bas », de ce peuple lui même depuis si longtemps confronté aux épreuves ( le néant de la disparition de la nation, l’enfer de la dernière guerre, pour laquelle la Pologne a eu plus de victimes que tout autre pays, et le douloureux purgatoire de la république populaire, voilà le 20ème siécle de la Pologne, juste interrompu par les vingt ans de l ‘éphémère république de l’entre deux guerres,constamment sous la menace de l’anéantissement) et qui, donc, rejoint les aspirations des pères fondateurs de l’union, est un bien inestimable pour tous les membres de cette communauté.

La Pologne possède une culture de négociation et de concorde, très récemment éprouvées lors des épisodes fondateurs de la nouvelle démocratie polonaise : les accords de Gdansk suivis par la table ronde « constituante »de 1989. Cette capacité à « faire la paix », à, pacifiquement et de manière aussi éclatante aux yeux du monde, tirer les leçons du passé, entre polonais et décider d’un avenir commun, même si tout n’a pas été rose, alors que le pays se trouvait au centre de toutes les turbulences de la fin du siècle dernier est remarquable. Elle est surtout la démonstration d’une certaine sagesse de la société polonaise et de son homogénéité, car tout est venu « d’en bas », encore une fois. Loin sera la tentation de la croire immature devant les grandes questions qui l’engagent et qui, désormais, engagent l’Union avec elle. Le pays, à travers ses dirigeants a d’ailleurs prouvé, au cours de la toute dernière phase de négociation à l’adhésion, qu’il n’était pas figé sur des schémas immuables et qu’il acceptait le compromis et pas seulement sur des questions techniques et économiques (période transitoire exigée avant la libre circulation des travailleurs polonais), mais aussi au sujet de problématiques plus fondamentales (renoncement aux références chrétiennes dans la constitution, qui n’était pas d’ailleurs demandées par la seule Pologne).

Enfin, la Pologne peut emmener une vision nouvelle de la conception de la civilisation européenne au sens large, en partie grâce à son expérience historique unique,assez étrangère, malheureusement, aux autres pays de l’U.E., et surtout à ses pays fondateurs. Un exemple d’approche enrichissante, sous un angle historique inédit, réside dans la position de l’opinion polonaise au sujet de l’intégration de la Turquie dans l’U.E. Un sondage de l’institut CBOS de Janvier 2005 révélait que 68% des polonais étaient favorables à l’intégration de la Turquie dans l’Union Européenne. Les polonais sont encore très marqués par l’attitude de l’empire ottoman, qu’ils ont pourtant combattu un siècle auparavant, guerre dont le point culminant fut la contribution décisive de l’armée polonaise à sauver Vienne de la prise turque (1683, Roi Jan Sobieski), qui a été la seule nation européenne à ne pas reconnaître le 3ème et dernier partage de la Pologne en 1795, et sa disparition pure et simple des cartes du monde jusqu’en 1918. Ils en ont gardé une attitude plus nuancée envers la Turquie actuelle, sa descendante. Il se transmet d’ailleurs de père en fils cette histoire vraie du protocole d’audience des ambassadeurs auprès du grand vizir au 19ème siècle, à Istanbul où, lorsque le tour venait à l’ambassadeur du « Lechistan » (nom turque de la Pologne) de se présenter, forcément absent, son pays n’existant plus, le chef du protocole répondait invariablement, chaque année au grand Vizir, interrogatif « Mr L’ambassadeur du Lechistan s’excuse, il est juste retardé… ». Là encore, l’esprit de concorde et de réconciliation des polonais est plus surprenant que ce que l’on pourrait penser : surmonter les rancoeurs pour construire ensemble, malgré les conflits du passé, les polonais ont fait cette expérience plus que tout autre peuple de l’union. Il y a de cela aussi, des choses à apprendre de la Pologne. Ajoutons que les polonais sont encore plus favorables à une entrée rapide de leur voisin Ukrainien au sein de l’Union. Ce même sondage donne une opinion favorable à 84%.Pour un pays très souvent en conflit avec la Pologne mais bel et bien cousin historiquement et dont nombre de ressortissants des deux côtés de la frontière sont issus du même berceau, se voir « appelé » de manière aussi massive et favorable, du moins dans le cadre de ce sondage, est un autre signe de réconciliation particulièrement impressionnant. L’appui de la Pologne à la « révolution orange » de Kiiv en est le point d’orgue de ces dernières années. L’ouverture d’un cimetière militaire commun aux combattants des deux nations, qui n’en ont fait qu’une durant plusieurs siècles, dans la superbe ville de Lviv (Lwow en polonais) en donne tout l’esprit, celui de cette sagesse et de cette vision « civilisationnelle » et non pas seulement économique de notre Europe par la Pologne ; toutes choses dont les peuples et dirigeants fondateurs de l’Union semblent dépourvus, atteints de cette cécité qui pourrait être la véritable origine de la crise de l’Union.

EN GUISE DE CONCLUSION

« La Pologne, elle, sait qu'elle est un facteur de paix et de stabilité en Europe et veut que l'on compte avec elle. D'où l'importance du Triangle de Weimar qu'on ne devrait pas traiter comme une coquille vide (France-Allemagne-Pologne, ndt). » T.Mazowiecki.

En laissant de côté les critères purement économiques, et si la Pologne contribuait à sauver l’idée européenne, dans le sens de sa civilisation ?

B.Glénat – Juillet 2005.

 





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