Mon second voyage en Pologne
a lieu, à Pâques 1989. En effet, ayant pu remarquer lors de notre
première visite combien ce pays paraissait être catholique, nous
avons décidé, ma compagne et moi, de retourner nous rendre compte
sur place. Quel autre meilleur moment choisir que les fêtes de
Pâques. La ciocia qui participe aux processions sera certainement
heureuse de pouvoir défiler devant nous en aidant à porter une
des châses de la paroisse. Nous n'avions pas pu y assister l'année
précédente, car trop fatigué du voyage.
Nous avons donc repris les routes menant vers l'Est. Je passerai
outre les préparatifs et la route, tout fut en fait très similaire
au premier déplacement. A signaler toutefois au passage, que lors
de notre première visite en Pologne je possédais une voiture à
essence. Le prix de ce carburant ne faisant qu'augmenter dans
nos pays, je m'étais décidé à changer pour une voiture diesel.
Ce qui fit dire à Adam, notre hôte, lors de notre arrivée que
je changeais de voiture comme de chemise (sic). Sur le coup je
me suis trouvé un peu gêné de faire ainsi étalage d'une certaine
facilité alors que sa famille et lui, comme de nombreuses autres
familles polonaises à l'époque, n'avaient que le bus comme moyen
de locomotion. Nous lui avons fait comprendre que, malgré les
apparences nous étions, nous aussi tenus de surveiller nos dépenses;
et comme le diesel coûtait à l'époque nettement moins cher que
l'essence il a compris le but de la manœuvre.
Bon, le propos de mes élucubrations étant de vous parler de la
Pologne, revenons donc à nos moutons. Comme dit plus haut, nous
étions donc à la semaine sainte et de ce fait, certaines "kawiarnia"
étaient relativement bien fournies. Nous ne devrions donc plus
nous lever dès potron-minet pour goûter à cette délicieuse bière
polonaise. Une de ces tavernes, dénommée Rzym, ancienne halle
aux draps juive datant de plus de 300 ans trônait sur la place
de Sucha Beskidzka, village voisin de Zawoja où se déroule le
marché du mardi. Il va de soi que de discuter des prix (chose
courante à l'époque) donne soif.
Nous nous sommes donc tous retrouvés, Adam, son épouse, deux de
ses filles, ma compagne et moi dans ce magnifique établissement
tout en bois, qui a gardé tout son charme d'antan et mérite réellement
d'être vu. Afin d'être sûrs de pouvoir étancher notre soif sans
problème, et comme la serveuse avait répondu "tak" à notre question
de savoir s'il était possible de boire de la bière, nous avons
commandé d'entrée deux verres par personne. Soit huit bières (servies
en bouteilles d'un demi litre) d'un coup pour nous quatre, les
jeunes filles se contentant de limonade.
Je pense avoir vu clairement dans le regard de certaines personnes
présentes dans cet établissement que le vieil adage "boire comme
un Polonais", pourtant bien enraciné dans les idées depuis Napoléon,
avait pris un coup dans l'aile. Apparemment, les Belges ne semblaient
pas être tristes non plus dans ce domaine.
Sans vouloir faire de publicité, nous buvions de la bière blonde
"Zywiec", provenant de la ville du même nom, également proche
de Sucha Beskidzka. Elle convenait parfaitement à nos palais et
nous en avons donc repris pour rentrer à Zawoja. Ne voulant pas
être gourmands, et surtout pour en laisser aux autres, nous n'avions
emporté que douze bouteilles. Nous voulions aussi faire connaître
à Adam la façon de boire la bière chez nous, c'est à dire bien
fraîche. En effet les Polonais ont (ou avaient) l'habitude de
boire leur bière tempérée. Nous avons donc mis les bières dans
le réfrigérateur dès notre rentrée avec la promesse de ne pas
y toucher avant le lendemain. Mercredi soir, comme promis nous
buvons (enfin) de la bière fraîche. Il faut dire que la température
à cette époque était relativement clément et qu'une bonne bière
bien fraîche "descendait" facilement. Tant et si bien que nous
sommes rapidement tombés à court de munition. Que faire ?
Imiter cet officier polonais à qui un soldat criait "Mon commandant
les hommes n'ont plus de cartouches, ordonna Cessez le feu…" Il
n'entrait évidemment pas dans nos intentions de "cesser le feu"
d'autant plus que la "piwo" bien fraîche apaisait notre soif due
aux quelques (voire nombreux) verres de vodka ingurgités lors
du souper. Adam me dit alors qu'il connaît un endroit où il y
a certainement de la bière, mais c'est dans la montagne et il
faut y aller en voiture. S'en suit alors une discussion sur le
taux d'alcoolémie autorisé en Pologne. Mais, n'écoutant que notre
courage, ou plutôt notre soif, nous voilà partis à trois en quête
de bière (ma compagne nous accompagne comme interprète car j'éprouve
toujours des difficultés avec les consonnes qui me paraissent
trop nombreuse dans cette langue) Nous voilà à pied d'œuvre. Il
s'agit d'un "bar" ouvert dans le garage d'une ferme.
On y trouve effectivement de la bière que l'on s'empresse de goûter.
Elle est bonne, mais il y a un hic, et de taille. En effet, la
bière est servie à la pompe, non pas à la pression mais par gravité,
le tonneau étant placé au-dessus du bar. Discussion entre les
quelques personnes présentes afin de trouver un moyen de ramener
de la bière. La solution est vite trouvée, le tenancier, qui connaît
Adam, lui prête une marmite et y verse l'équivalent de plusieurs
verres. Nous avons parcouru les 10 km du chemin inverse à environ
5 Km/Hr. Il va sans dire que notre retour fut triomphant. La bière,
malgré tout malmenée avait débordé de la marmite et répandait
une odeur écœurante et tenace dans la voiture (neuve). C'est donc
à la louche qui nous avons vidé cette marmite, je ne sais pas
si cela était dû à la chaleur, à la fatigue, mais je sais que
nous étions tous bien "émus" au moment d'aller se coucher.
Moralité : en Pologne ne jamais désespérer, c'est véritablement
le pays de la débrouille et une solution (bonne ou parfois surprenante)
est toujours trouvée, quelque soit le problème. Si le cœur vous
en dit, la prochaine fois je vous conterai comment j'ai fait découvrir
le vin rouge de Bordeaux à Adam et sa famille et surtout, comment
j'ai déniché un tire-bouchon
(à suivre…)
Jean-Marie Van Hoorne