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Novembre 2001 – juin 2003 : Avant… la Pologne

A tous ceux qui, cités dans ce texte, se reconnaîtront s’ils viennent à lire ces lignes… et à tous les autres bien sûr

Je m’appelle Annie Porebski, suis née en 1957 dans l’Yonne, en Bourgogne, ai vécu dans une petite ferme avec mes deux frères plus jeunes.
Enfants, nous savions que notre père était fils unique, que son père, immigré polonais, était arrivé dans l’Yonne dans les années trente, que notre grand-mère avait toujours tout caché de cet époux mystérieux, décédé quand mon père n’avait que trois ou quatre ans, ce dont il ne se souvenait bien sûr pas. Celui-ci était-il mort accidentellement ou s’était-il suicidé ? Il paraît qu’il était riche puisqu’il possédait une moto… mais la grand-mère n’avait rien conservé de lui ; avait-elle tout fait disparaître, se demandaient mes parents ? Seule une photo d’identité de Adam Porebski et une chaîne de montre en or rouge, disait ma mère, témoignaient de lui et maman a eu l’excellente idée de me la faire transformer en bracelet. Questions sans réponse, tombe introuvable mais à la mort de ma grand-mère, beaucoup plus tard, mes parents récupèrent quand même un précieux livret de famille.

Un jour, papa me dit que peut-être moi j’irai en Pologne chercher des traces, mais vu l’histoire mouvementée du pays, y aura-t-il encore des archives à consulter ? Un cousin, du côté de ma mère, véritable père pour moi, autodidacte passionnant, me transmet insensiblement et à mon insu le virus généalogique ; grâce à ses données, une bonne partie de mon arbre côté maternel est reconstitué. Mais je ne connais pas encore l’enthousiasme à venir. Ma mère reproche à l’adolescente un peu rebelle que je suis de m’intéresser aux gens sur le papier et de ne pas aller leur rendre visite ni honorer leurs tombes à l’occasion de fêtes rituelles dont le sens m’échappe ou me fâche.

Les années passent. Je me marie même avec un descendant polonais par sa mère et si nous avions eu des enfants, il me plaît de dire qu’ils auraient encore eu 25 % de sang polonais dans les veines. Mais après le divorce je récupère mon nom de jeune fille que je ne quitterai plus, même lors d’un second mariage : il est trop beau !
Les années passent… et puis… D’abord il y a Laurence, une collègue de travail qui, fin novembre 2001, m’apprend qu’à côté du collège où nous exerçons, au supermarché, le gérant porte sur sa blouse le même nom que le mien ! Stupéfaction ! J’étais bien loin de penser rencontrer un jour un Porebski ! Je me précipite au magasin…
Alors je fais connaissance avec Patrick-François et une montagne me tombe sur la tête : son aïeul était originaire de la même région que le mien, près de Cracovie. Mais lui en sait plus que moi sur sa famille même si des querelles diverses l’ont éloigné de ses parents. Nous partageons nos intuitions un peu folles et nos espoirs : serions-nous cousins ? Et cette histoire de constructeur de chalets (tiens,j’adore les chalets en bois, moi), de richesse perdue, d’autres émigrants de la famille en Amérique ou ailleurs !… Tout est possible désormais. Coups de fil fébriles à mes parents, à l’un de mes frères etc.

Me voilà mordue, le virus a longtemps sommeillé en moi, cette attaque soudaine et sournoise m’oriente vers de nouveaux horizons, mon compagnon m’encourage : je décide d’apprendre le polonais. Pour aller en Pologne. Vérifier certains faits, si minimes soient-ils. Soit dit en passant, pas facile d’apprendre cette langue, de trouver des bouquins, une méthode… Et puis Christophe, un autre collègue, dont la mère est polonaise, lui-même féru de généalogie, m’informe de l’existence du magazine Beskid…

Au début, quand on n’y connaît rien du tout, ça va très vite et pour la néophyte que je suis, les questions se bousculent tant il est vrai que si les réponses sont importantes, les questions ne le sont pas moins, car encore faut-il poser les bonnes questions et, comme en archéologie, on ne trouve que ce que l’on cherche… Alors je surfe, je minitel, je pars tous azimuts et puisque je n’ai pas grand chose sur la Pologne et les Porebski de Pologne, je décide d’essayer de rechercher tous ceux de France ! Pas si nombreux que ça, d’après « La France de votre nom de famille » ; les statistiques de l’INSEE m’indiquent des communes de naissance, des chiffres et le minitel des adresses, hors liste rouge évidemment ! Vacances de Noël 2001 – janvier 2002, j’envoie une quarantaine de courriers. La première réponse provient d’une homonyme cadette de Clermont-Ferrand le 15 janvier : joie ! Puis c’est le Pas-de-Calais qui se manifeste, c’est-à-dire que je reçois des réponses de gens qui ne se connaissent pas ou à peine mais appartiennent à la même branche ! Sympa, cette branche : ils m’envoient même des copies d’actes civils. D’autant que Thierry, de Savoie, se prend au jeu et enquête de son côté, m’adressant au fur et à mesure le résultat de ses investigations téléphoniques, avec plein d’humour. Un comble : c’est leur branche que je m’amuse à construire, pas la mienne ! A moins que… puisque là aussi, un aïeul est né dans la même région que le mien et celui de Patrick-François.

Alors j’ai le sentiment de construire un puzzle en valsant ainsi avec les prénoms des uns et des autres. Tous ces inconnus deviennent des familiers. J’ai la Pologne dans la tête, j’ai besoin de lieux géographiques pour ancrer tous ces ancêtres, j’ai besoin d’en savoir plus, toujours, et je commence à apprendre : la Pologne et ses Polonais. Et toutes ces questions qui en amènent bien d’autres, bien plus nombreuses certes que les réponses… Le suffixe –ski a-t-il un sens ? Il y a en Pologne (j’ai acheté une carte) bien des endroits qui se nomment Poreba, dont un dans la région de Dziewin : est-ce en rapport avec mon nom ? Sachant que cela signifie coupe de bois et me rappelant ce que Patrick-François m’a dit de cet aïeul constructeur de chalets en bois, gros entrepreneur local chez qui tous les Porebski étaient employés, mon imagination s’emballe.
Les anecdotes se multiplient : ce Porebski, doyen de tous ceux que je connais en France, à l’air désinvolte, un peu mégalo peut-être, qui m’invite en Pologne ou à Paris ! Puis je tiens peut-être une traductrice : non, cela s’avérera une fausse piste, tant pis, poursuivons… Parce que j’écris à l’ambassade puis à la mairie de Dziewin dont je n’aurai jamais de réponse, hélas : pourtant j’avais demandé de transmettre mon courrier à un éventuel contemporain sur place ? Par la suite j’apprendrai que là-bas on ne voit pas toujours d’un très bon œil venir de lointains cousins, héritiers peut-être de biens abandonnés par les candidats à l’émigration, qu’on s’était partagés après leur départ. Par ailleurs Patrick m’explique avoir été contacté par l’ambassade juste après la chute du mur de l’Est : on recherchait les héritiers des biens qui avaient été confisqués en leur temps par les communistes. Or les années ont passé et les héritiers se sont multipliés, lui n’a donné aucune suite.
Une Pascale m’écrit parfois et comme ma grand-mère m’envoie une pensée séchée entre deux feuillets : touchant. Beaucoup m’encouragent. Mais que font donc à ne pas me répondre encore ceux de Reims, des Alpes Maritimes, de Strasbourg ? Et Anna, dans l’Yonne ? C’est extraordinaire : il y a une Porebski à vingt kilomètres de chez mes parents ! Me faudra-t-il les rappeler ? C’est gênant et indiscret d’insister, mais tellement important. Anna, bien que très proche géographiquement de mes parents, sera une des rares à ne pas répondre à mes courriers : manque de temps ou autre raison, je ne lui en veux pas mais quel dommage. Le peu qu’elle me livrera par téléphone me laisse comprendre que nous ne sommes pas , jusqu’à preuve du contraire, de la même branche.

En attendant, je bâtis une synthèse des données INSEE que je possède et c’est très instructif : nous serions environ deux cents à porter ce nom et je connais trois branches importantes, puis quatre, dont la mienne. Mais le mystère reste quant aux origines en Pologne. Patience, ça viendra ! Cependant il est remarquable, voire exceptionnel, de constater que mon mailing de l’hiver recevra quasiment 95 % de réponses. Mais ça se complexifie et ramifie. Mon compagnon me fait cadeau d’un logiciel adéquat et tout à fait bienvenu : les arbres (ceux des autres !) se dessinent tandis que le mien n’avance pas.
Mon apprentissage de la langue, pas vraiment non plus, tant c’est difficile. C’est que je n’ai jamais entendu un seul mot polonais dans ma famille ! Mais voilà que grâce à Thierry je suis en relation épistolaire avec Sabina, Porebski de son nom de jeune fille, une de ses cousines qui a l’âge de mes parents et réside en Pologne où elle est repartie à sept ans ; elle y est professeur de français ! Une amitié naît. Et des projets, de visite, notamment. J’ai beaucoup de chance linguistique.
Entre temps, l’enseignante que je suis est, à sa demande (oui, je sais, ça surprend), mutée dans les Ardennes, ce qui me rapproche des autres Porebski, plus nombreux dans le Nord que dans le sud de la France bien entendu : sans regret, je quitte… l’Aveyron, non sans être allée vérifier l’acte de naissance d’un Porebski à Saint-Aubin, qui réside maintenant en Belgique. Quant à la naissance d’un autre à Decazeville, impossible de le trouver : il y a erreur je pense, due soit à l’INSEE, soit aux responsables de « La France de votre nom de famille ». Ce n’est pas inutile à signaler bien que je ne l’aie pas encore fait où il se doit.
Je m’offre le luxe (et le culot) d’écrire aux maires des communes dans lesquelles il y a une (commençons modestement) naissance Porebski et laissant planer le doute sur mon degré de filiation, j’obtiens quatre réponses positives, c’est-à-dire quatre actes de naissance, le cinquième me renvoyant légalement au tribunal pour obtenir l’autorisation nécessaire : c’est de bonne guerre, dirais-je. J’ai donc autant de branches nouvelles. J’ai encore beaucoup à faire dans ce sens si je veux, mais je préfère aller à l’essentiel : vérifier, confirmer certaines hypothèses et des cousinages que je soupçonne, que je souhaite de tout mon cœur en Pologne. De ce fait, tant que cela ne sera pas effectué, je ne pourrai pas progresser dans ma branche. Un tel statu quo est tout à fait frustrant, bien évidemment.

Ici, en Ardennes, rares sont les gens qui n’ont pas un ascendant polonais plus ou moins proche. Cependant j’aimerais bien trouver un professeur de polonais pour m’aider à aller au-delà de la vingtième leçon Assimil et la cinquième ou sixième d’une autre méthode que j’ai essayé de pratiquer en parallèle. Sabina m’a bien adressé des livres et des cassettes mais j’avoue avoir manqué de courage pour surmonter seule tous les pièges de ces satanées déclinaisons ! En outre, moi qui n’étais pas très bonne en allemand au lycée, voilà que des phrases entières réapparaissent : bah, ça servira lors de la traversée de l’Allemagne. Mais l’espagnol, c’est sûr ne me sera guère utile, pourtant ces réminiscences me parasitent sérieusement. Quant à l’anglais, c’est regrettable mais c’est devenu la langue universelle (euh, j’avais omis de signaler que j’étais professeur de français ?). C’est néanmoins passionnant de découvrir cette langue qui recèle bien des similitudes avec les autres langues latines.
Donc je suis en Ardennes et la Pologne me poursuit, y compris au collège où rôde un éventuel projet de jumelage pédagogique. Une certaine Monika, de Garwolin, vient nous rendre visite en novembre 2002 à ce sujet. Surtout je rencontre… Edmont Szelong, bien connu des lecteurs de Beskid, n’est-ce pas ? Il est vrai que je n’habite qu’à quelques kilomètres de chez lui. J’ai dévoré les deux tomes qu’il a écrits avec son fils (pour mémoire : « Ozarow, les racines polonaises » et « Polonais en France ») et, principalement dans le premier, j’ai le sentiment de découvrir des racines communes à beaucoup d’entre nous je suppose. Je préfère celui-ci, à cause sans doute d’un plus exotique que lui confère le recul dans le temps ? J’adresse ces deux ouvrages à Sabina qui ignorait tout de ces histoires et apprécie autant que moi… On parle d’un troisième tome en gestation messieurs Szelong ?
Un ami d’Edmont, dont le nom bien que difficile à prononcer est charmant, tout en –k, -w et –ski, a la bonté, lui et sa mère, de m’aider à parler le peu de polonais que j’ai appris : aide très estimable même si elle fut de courte durée, ce qui est ma faute car je n’ai pas su persévérer. C’est grâce à eux quoi qu’il en soit que je parviens à lire un mot sans trop de peine aujourd’hui et lorsque Bozena, la compagne polonaise de cet ami bruxellois (là, quand je dis que la Pologne me poursuit), me félicite pour ma prononciation, je sais que je le leur dois en partie. Quel dommage que Bozena, qui a tant de mal à maîtriser le français depuis six ans qu’elle est en Belgique, et moi, ne soyons pas plus proches : nous nous apprendrions mutuellement notre langue au quotidien et nous concocterions à nos hommes respectifs des plats de là-bas.

Juin 2003 : où en suis-je ? J’ai connaissance de treize ou quatorze branches françaises différentes de Porebski, dont quatre qui retiennent particulièrement mon attention puisque mon Adam est né en décembre 1906 Dziewin, Joseph en 1879 à Wyzyce, Louis en août 1906 et Jean en mai 1908 à Drwinia, trois villages ou lieux-dits distants d’une dizaine de kilomètres les uns des autres, quelques vingt kilomètres à l’est de Cracovie, pardon, Krakow. Frères ils ne le sont pas, mais cousins ? Au début du vingtième siècle, on devait être assez sédentaire dans les campagnes polonaises, comme dans les campagnes françaises ?
C’est donc cela que je veux vérifier sur place cet été : fort heureusement, je serai accompagnée de ma traductrice privée… Mais quel accueil nous réservera-t-on à la mairie ou au chef-lieu de paroisse ? Christophe n’a eu droit qu’à vingt minutes pour consulter les archives locales : rétention d’informations, mauvaise habitude héritée d’époques troubles ? J’ai presque peur en vérité. Découvrirons-nous des Porebski d’aujourd’hui, mes cousins ? Ou bien ceux de Patrick-François, d’Ingrid ou de Thierry ? Ou tous à la fois ? Sabina s’est vue rejetée par sa famille polonaise dès lors qu’elle a eu divorcé : on ne bouscule pas ainsi les préjugés religieux dans un pays catholique, pratiquant à 95 %. Nous avons convenu qu’elle serait notre accompagnatrice anonyme, par conséquent.
D’ailleurs à propos de religion, avoir un grand-père qui se prénommait Adam, quand mon père s’est montré anticlérical notoire, pour avoir trop souffert des manœuvres hypocrites des institutrices religieuses à qui il a eu affaire tout petit à l’école (comme si être traité de sale Polak dans ces années quarante ne suffisait pas !), ce n’est pas là un des moindres paradoxes de cette aventure.

Une aventure qui s’apparente aussi à une enquête policière car dans toute recherche de ce genre, il ne faut rien laisser au hasard (même si celui-ci a une part indéniable) car la plus petite piste peut s’avérer fructueuse. Chaque fait est à vérifier, il suscite des questions, génère des hypothèses auxquelles l’intuition et le bon sens confèrent importance et qualité. Ma patience, mon savoir-faire empirique suffiront-ils à me / nous faire progresser dans la connaissance de cette mémoire devenue collective et permettront-ils d’ancrer nos modestes racines de façon suffisamment objective ?
De tous les contacts que j’ai pu établir, je constate que ce sont grosso modo les gens de ma génération qui se sentent concernés : seule une jeune Ingrid du Bas-Rhin m’a répondu. En effet, les plus jeunes ne pensent pas encore à tout cela et ceux de la génération qui me précède, les enfants des émigrés, ne semblent pas bien comprendre cet intérêt : comme si nombre d’entre eux souhaitaient oublier les déconvenues de leurs parents, leurs difficultés et leur honte due à une autre misère, inattendue, contrastant avec les espoirs qui les avaient amenés sur ce sol étranger. D’autant que leur départ de Pologne était souvent entaché de ruptures douloureuses, voire de querelles car beaucoup ont alors perdu tout contact avec le reste de leur famille ! Du moins est-ce mon sentiment face à plusieurs témoignages que j’ai pu recueillir, je ne prétends pas détenir d’unique vérité malgré cela.
Je crois cependant que mon père, sans avoir vraiment imaginé que j’aie pu un jour me lancer dans de telles recherches, éprouve une certaine fierté à l’idée que j’effectue ces démarches hasardeuses. Monsieur Szelong, lui, dit que je partage cet appel d’une polinité commune à beaucoup d’autres. Moi, très souvent, je me présente comme petite fille d’émigré polonais, et fière de l’être. J’ai signé un écrit : Anna Porebska en souvenir de mes ancêtres inconnus, avant même de me lancer dans cette aventure. On s’est amusé de ce pseudonyme qui ne prétendait aucunement masquer mes vrais nom et prénom.
Dans moins d’un mois, mon compagnon et moi partons en Pologne pour la première fois : Sabina et ses enfants nous y attendent pour nous guider et aider dans nos démarches, souhaitant ardemment que nous révélions cousins et cousines pour de vrai ! Je sens que nous allons être reçus comme des princes, et c’est bon ! Qui sait si nous n’y retournerons pas et peut-être même autrement qu’en touristes ? J’ai l’impression confuse d’avoir quelque chose à faire là-bas, or je suis volontiers nomade…
A mon poignet je porterai un talisman en or rouge…

Annie Porebski





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