A tous ceux qui, cités dans ce texte,
se reconnaîtront s’ils viennent à lire ces lignes…
et à tous les autres bien sûr
Je m’appelle
Annie Porebski, suis née en 1957 dans l’Yonne, en
Bourgogne, ai vécu dans une petite ferme avec mes deux
frères plus jeunes.
Enfants,
nous savions que notre père était fils unique, que
son père, immigré polonais, était arrivé
dans l’Yonne dans les années trente, que notre grand-mère
avait toujours tout caché de cet époux mystérieux,
décédé quand mon père n’avait
que trois ou quatre ans, ce dont il ne se souvenait bien sûr
pas. Celui-ci était-il mort accidentellement ou s’était-il
suicidé ? Il paraît qu’il était riche
puisqu’il possédait une moto… mais la grand-mère
n’avait rien conservé de lui ; avait-elle tout fait
disparaître, se demandaient mes parents ? Seule une photo
d’identité de Adam Porebski et une chaîne de
montre en or rouge, disait ma mère, témoignaient
de lui et maman a eu l’excellente idée de me la faire
transformer en bracelet. Questions sans réponse, tombe
introuvable mais à la mort de ma grand-mère, beaucoup
plus tard, mes parents récupèrent quand même
un précieux livret de famille.
Un jour,
papa me dit que peut-être moi j’irai en Pologne chercher
des traces, mais vu l’histoire mouvementée du pays,
y aura-t-il encore des archives à consulter ? Un cousin,
du côté de ma mère, véritable père
pour moi, autodidacte passionnant, me transmet insensiblement
et à mon insu le virus généalogique ; grâce
à ses données, une bonne partie de mon arbre côté
maternel est reconstitué. Mais je ne connais pas encore
l’enthousiasme à venir. Ma mère reproche à
l’adolescente un peu rebelle que je suis de m’intéresser
aux gens sur le papier et de ne pas aller leur rendre visite ni
honorer leurs tombes à l’occasion de fêtes
rituelles dont le sens m’échappe ou me fâche.
Les années passent. Je me marie même avec un descendant
polonais par sa mère et si nous avions eu des enfants,
il me plaît de dire qu’ils auraient encore eu 25 %
de sang polonais dans les veines. Mais après le divorce
je récupère mon nom de jeune fille que je ne quitterai
plus, même lors d’un second mariage : il est trop
beau !
Les années passent… et puis… D’abord
il y a Laurence, une collègue de travail qui, fin novembre
2001, m’apprend qu’à côté du collège
où nous exerçons, au supermarché, le gérant
porte sur sa blouse le même nom que le mien ! Stupéfaction
! J’étais bien loin de penser rencontrer un jour
un Porebski ! Je me précipite au magasin…
Alors je fais connaissance avec Patrick-François et une
montagne me tombe sur la tête : son aïeul était
originaire de la même région que le mien, près
de Cracovie. Mais lui en sait plus que moi sur sa famille même
si des querelles diverses l’ont éloigné de
ses parents. Nous partageons nos intuitions un peu folles et nos
espoirs : serions-nous cousins ? Et cette histoire de constructeur
de chalets (tiens,j’adore les chalets en bois, moi), de
richesse perdue, d’autres émigrants de la famille
en Amérique ou ailleurs !… Tout est possible désormais.
Coups de fil fébriles à mes parents, à l’un
de mes frères etc.
Me voilà
mordue, le virus a longtemps sommeillé en moi, cette attaque
soudaine et sournoise m’oriente vers de nouveaux horizons,
mon compagnon m’encourage : je décide d’apprendre
le polonais. Pour aller en Pologne. Vérifier certains faits,
si minimes soient-ils. Soit dit en passant, pas facile d’apprendre
cette langue, de trouver des bouquins, une méthode…
Et puis Christophe, un autre collègue, dont la mère
est polonaise, lui-même féru de généalogie,
m’informe de l’existence du magazine Beskid…
Au début, quand on n’y connaît rien du tout,
ça va très vite et pour la néophyte que je
suis, les questions se bousculent tant il est vrai que si les
réponses sont importantes, les questions ne le sont pas
moins, car encore faut-il poser les bonnes questions et, comme
en archéologie, on ne trouve que ce que l’on cherche…
Alors je surfe, je minitel, je pars tous azimuts et puisque je
n’ai pas grand chose sur la Pologne et les Porebski de Pologne,
je décide d’essayer de rechercher tous ceux de France
! Pas si nombreux que ça, d’après «
La France de votre nom de famille » ; les statistiques de
l’INSEE m’indiquent des communes de naissance, des
chiffres et le minitel des adresses, hors liste rouge évidemment
! Vacances de Noël 2001 – janvier 2002, j’envoie
une quarantaine de courriers. La première réponse
provient d’une homonyme cadette de Clermont-Ferrand le 15
janvier : joie ! Puis c’est le Pas-de-Calais qui se manifeste,
c’est-à-dire que je reçois des réponses
de gens qui ne se connaissent pas ou à peine mais appartiennent
à la même branche ! Sympa, cette branche : ils m’envoient
même des copies d’actes civils. D’autant que
Thierry, de Savoie, se prend au jeu et enquête de son côté,
m’adressant au fur et à mesure le résultat
de ses investigations téléphoniques, avec plein
d’humour. Un comble : c’est leur branche que je m’amuse
à construire, pas la mienne ! A moins que… puisque
là aussi, un aïeul est né dans la même
région que le mien et celui de Patrick-François.
Alors j’ai
le sentiment de construire un puzzle en valsant ainsi avec les
prénoms des uns et des autres. Tous ces inconnus deviennent
des familiers. J’ai la Pologne dans la tête, j’ai
besoin de lieux géographiques pour ancrer tous ces ancêtres,
j’ai besoin d’en savoir plus, toujours, et je commence
à apprendre : la Pologne et ses Polonais. Et toutes ces
questions qui en amènent bien d’autres, bien plus
nombreuses certes que les réponses… Le suffixe –ski
a-t-il un sens ? Il y a en Pologne (j’ai acheté une
carte) bien des endroits qui se nomment Poreba, dont un dans la
région de Dziewin : est-ce en rapport avec mon nom ? Sachant
que cela signifie coupe de bois et me rappelant ce que Patrick-François
m’a dit de cet aïeul constructeur de chalets en bois,
gros entrepreneur local chez qui tous les Porebski étaient
employés, mon imagination s’emballe.
Les anecdotes se multiplient : ce Porebski, doyen de tous ceux
que je connais en France, à l’air désinvolte,
un peu mégalo peut-être, qui m’invite en Pologne
ou à Paris ! Puis je tiens peut-être une traductrice
: non, cela s’avérera une fausse piste, tant pis,
poursuivons… Parce que j’écris à l’ambassade
puis à la mairie de Dziewin dont je n’aurai jamais
de réponse, hélas : pourtant j’avais demandé
de transmettre mon courrier à un éventuel contemporain
sur place ? Par la suite j’apprendrai que là-bas
on ne voit pas toujours d’un très bon œil venir
de lointains cousins, héritiers peut-être de biens
abandonnés par les candidats à l’émigration,
qu’on s’était partagés après
leur départ. Par ailleurs Patrick m’explique avoir
été contacté par l’ambassade juste
après la chute du mur de l’Est : on recherchait les
héritiers des biens qui avaient été confisqués
en leur temps par les communistes. Or les années ont passé
et les héritiers se sont multipliés, lui n’a
donné aucune suite.
Une Pascale m’écrit parfois et comme ma grand-mère
m’envoie une pensée séchée entre deux
feuillets : touchant. Beaucoup m’encouragent. Mais que font
donc à ne pas me répondre encore ceux de Reims,
des Alpes Maritimes, de Strasbourg ? Et Anna, dans l’Yonne
? C’est extraordinaire : il y a une Porebski à vingt
kilomètres de chez mes parents ! Me faudra-t-il les rappeler
? C’est gênant et indiscret d’insister, mais
tellement important. Anna, bien que très proche géographiquement
de mes parents, sera une des rares à ne pas répondre
à mes courriers : manque de temps ou autre raison, je ne
lui en veux pas mais quel dommage. Le peu qu’elle me livrera
par téléphone me laisse comprendre que nous ne sommes
pas , jusqu’à preuve du contraire, de la même
branche.
En attendant,
je bâtis une synthèse des données INSEE que
je possède et c’est très instructif : nous
serions environ deux cents à porter ce nom et je connais
trois branches importantes, puis quatre, dont la mienne. Mais
le mystère reste quant aux origines en Pologne. Patience,
ça viendra ! Cependant il est remarquable, voire exceptionnel,
de constater que mon mailing de l’hiver recevra quasiment
95 % de réponses. Mais ça se complexifie et ramifie.
Mon compagnon me fait cadeau d’un logiciel adéquat
et tout à fait bienvenu : les arbres (ceux des autres !)
se dessinent tandis que le mien n’avance pas.
Mon apprentissage de la langue, pas vraiment non plus, tant c’est
difficile. C’est que je n’ai jamais entendu un seul
mot polonais dans ma famille ! Mais voilà que grâce
à Thierry je suis en relation épistolaire avec Sabina,
Porebski de son nom de jeune fille, une de ses cousines qui a
l’âge de mes parents et réside en Pologne où
elle est repartie à sept ans ; elle y est professeur de
français ! Une amitié naît. Et des projets,
de visite, notamment. J’ai beaucoup de chance linguistique.
Entre temps, l’enseignante que je suis est, à sa
demande (oui, je sais, ça surprend), mutée dans
les Ardennes, ce qui me rapproche des autres Porebski, plus nombreux
dans le Nord que dans le sud de la France bien entendu : sans
regret, je quitte… l’Aveyron, non sans être
allée vérifier l’acte de naissance d’un
Porebski à Saint-Aubin, qui réside maintenant en
Belgique. Quant à la naissance d’un autre à
Decazeville, impossible de le trouver : il y a erreur je pense,
due soit à l’INSEE, soit aux responsables de «
La France de votre nom de famille ». Ce n’est pas
inutile à signaler bien que je ne l’aie pas encore
fait où il se doit.
Je m’offre le luxe (et le culot) d’écrire aux
maires des communes dans lesquelles il y a une (commençons
modestement) naissance Porebski et laissant planer le doute sur
mon degré de filiation, j’obtiens quatre réponses
positives, c’est-à-dire quatre actes de naissance,
le cinquième me renvoyant légalement au tribunal
pour obtenir l’autorisation nécessaire : c’est
de bonne guerre, dirais-je. J’ai donc autant de branches
nouvelles. J’ai encore beaucoup à faire dans ce sens
si je veux, mais je préfère aller à l’essentiel
: vérifier, confirmer certaines hypothèses et des
cousinages que je soupçonne, que je souhaite de tout mon
cœur en Pologne. De ce fait, tant que cela ne sera pas effectué,
je ne pourrai pas progresser dans ma branche. Un tel statu quo
est tout à fait frustrant, bien évidemment.
Ici, en
Ardennes, rares sont les gens qui n’ont pas un ascendant
polonais plus ou moins proche. Cependant j’aimerais bien
trouver un professeur de polonais pour m’aider à
aller au-delà de la vingtième leçon Assimil
et la cinquième ou sixième d’une autre méthode
que j’ai essayé de pratiquer en parallèle.
Sabina m’a bien adressé des livres et des cassettes
mais j’avoue avoir manqué de courage pour surmonter
seule tous les pièges de ces satanées déclinaisons
! En outre, moi qui n’étais pas très bonne
en allemand au lycée, voilà que des phrases entières
réapparaissent : bah, ça servira lors de la traversée
de l’Allemagne. Mais l’espagnol, c’est sûr
ne me sera guère utile, pourtant ces réminiscences
me parasitent sérieusement. Quant à l’anglais,
c’est regrettable mais c’est devenu la langue universelle
(euh, j’avais omis de signaler que j’étais
professeur de français ?). C’est néanmoins
passionnant de découvrir cette langue qui recèle
bien des similitudes avec les autres langues latines.
Donc je suis en Ardennes et la Pologne me poursuit, y compris
au collège où rôde un éventuel projet
de jumelage pédagogique. Une certaine Monika, de Garwolin,
vient nous rendre visite en novembre 2002 à ce sujet. Surtout
je rencontre… Edmont Szelong, bien connu des lecteurs de
Beskid, n’est-ce pas ? Il est vrai que je n’habite
qu’à quelques kilomètres de chez lui. J’ai
dévoré les deux tomes qu’il a écrits
avec son fils (pour mémoire : « Ozarow, les racines
polonaises » et « Polonais en France ») et,
principalement dans le premier, j’ai le sentiment de découvrir
des racines communes à beaucoup d’entre nous je suppose.
Je préfère celui-ci, à cause sans doute d’un
plus exotique que lui confère le recul dans le temps ?
J’adresse ces deux ouvrages à Sabina qui ignorait
tout de ces histoires et apprécie autant que moi…
On parle d’un troisième tome en gestation messieurs
Szelong ?
Un ami d’Edmont, dont le nom bien que difficile à
prononcer est charmant, tout en –k, -w et –ski, a
la bonté, lui et sa mère, de m’aider à
parler le peu de polonais que j’ai appris : aide très
estimable même si elle fut de courte durée, ce qui
est ma faute car je n’ai pas su persévérer.
C’est grâce à eux quoi qu’il en soit
que je parviens à lire un mot sans trop de peine aujourd’hui
et lorsque Bozena, la compagne polonaise de cet ami bruxellois
(là, quand je dis que la Pologne me poursuit), me félicite
pour ma prononciation, je sais que je le leur dois en partie.
Quel dommage que Bozena, qui a tant de mal à maîtriser
le français depuis six ans qu’elle est en Belgique,
et moi, ne soyons pas plus proches : nous nous apprendrions mutuellement
notre langue au quotidien et nous concocterions à nos hommes
respectifs des plats de là-bas.
Juin 2003
: où en suis-je ? J’ai connaissance de treize ou
quatorze branches françaises différentes de Porebski,
dont quatre qui retiennent particulièrement mon attention
puisque mon Adam est né en décembre 1906 Dziewin,
Joseph en 1879 à Wyzyce, Louis en août 1906 et Jean
en mai 1908 à Drwinia, trois villages ou lieux-dits distants
d’une dizaine de kilomètres les uns des autres, quelques
vingt kilomètres à l’est de Cracovie, pardon,
Krakow. Frères ils ne le sont pas, mais cousins ? Au début
du vingtième siècle, on devait être assez
sédentaire dans les campagnes polonaises, comme dans les
campagnes françaises ?
C’est donc cela que je veux vérifier sur place cet
été : fort heureusement, je serai accompagnée
de ma traductrice privée… Mais quel accueil nous
réservera-t-on à la mairie ou au chef-lieu de paroisse
? Christophe n’a eu droit qu’à vingt minutes
pour consulter les archives locales : rétention d’informations,
mauvaise habitude héritée d’époques
troubles ? J’ai presque peur en vérité. Découvrirons-nous
des Porebski d’aujourd’hui, mes cousins ? Ou bien
ceux de Patrick-François, d’Ingrid ou de Thierry
? Ou tous à la fois ? Sabina s’est vue rejetée
par sa famille polonaise dès lors qu’elle a eu divorcé
: on ne bouscule pas ainsi les préjugés religieux
dans un pays catholique, pratiquant à 95 %. Nous avons
convenu qu’elle serait notre accompagnatrice anonyme, par
conséquent.
D’ailleurs à propos de religion, avoir un grand-père
qui se prénommait Adam, quand mon père s’est
montré anticlérical notoire, pour avoir trop souffert
des manœuvres hypocrites des institutrices religieuses à
qui il a eu affaire tout petit à l’école (comme
si être traité de sale Polak dans ces années
quarante ne suffisait pas !), ce n’est pas là un
des moindres paradoxes de cette aventure.
Une aventure
qui s’apparente aussi à une enquête policière
car dans toute recherche de ce genre, il ne faut rien laisser
au hasard (même si celui-ci a une part indéniable)
car la plus petite piste peut s’avérer fructueuse.
Chaque fait est à vérifier, il suscite des questions,
génère des hypothèses auxquelles l’intuition
et le bon sens confèrent importance et qualité.
Ma patience, mon savoir-faire empirique suffiront-ils à
me / nous faire progresser dans la connaissance de cette mémoire
devenue collective et permettront-ils d’ancrer nos modestes
racines de façon suffisamment objective ?
De tous les contacts que j’ai pu établir, je constate
que ce sont grosso modo les gens de ma génération
qui se sentent concernés : seule une jeune Ingrid du Bas-Rhin
m’a répondu. En effet, les plus jeunes ne pensent
pas encore à tout cela et ceux de la génération
qui me précède, les enfants des émigrés,
ne semblent pas bien comprendre cet intérêt : comme
si nombre d’entre eux souhaitaient oublier les déconvenues
de leurs parents, leurs difficultés et leur honte due à
une autre misère, inattendue, contrastant avec les espoirs
qui les avaient amenés sur ce sol étranger. D’autant
que leur départ de Pologne était souvent entaché
de ruptures douloureuses, voire de querelles car beaucoup ont
alors perdu tout contact avec le reste de leur famille ! Du moins
est-ce mon sentiment face à plusieurs témoignages
que j’ai pu recueillir, je ne prétends pas détenir
d’unique vérité malgré cela.
Je crois cependant que mon père, sans avoir vraiment imaginé
que j’aie pu un jour me lancer dans de telles recherches,
éprouve une certaine fierté à l’idée
que j’effectue ces démarches hasardeuses. Monsieur
Szelong, lui, dit que je partage cet appel d’une polinité
commune à beaucoup d’autres. Moi, très souvent,
je me présente comme petite fille d’émigré
polonais, et fière de l’être. J’ai signé
un écrit : Anna Porebska en souvenir de mes ancêtres
inconnus, avant même de me lancer dans cette aventure. On
s’est amusé de ce pseudonyme qui ne prétendait
aucunement masquer mes vrais nom et prénom.
Dans moins d’un mois, mon compagnon et moi partons en Pologne
pour la première fois : Sabina et ses enfants nous y attendent
pour nous guider et aider dans nos démarches, souhaitant
ardemment que nous révélions cousins et cousines
pour de vrai ! Je sens que nous allons être reçus
comme des princes, et c’est bon ! Qui sait si nous n’y
retournerons pas et peut-être même autrement qu’en
touristes ? J’ai l’impression confuse d’avoir
quelque chose à faire là-bas, or je suis volontiers
nomade…
A mon poignet je porterai un talisman en or rouge…
Annie Porebski