LE PETIT
MONDE DE ROSALIE (
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Regardons un moment, avec les yeux de Rosalie, le monde où
se jouèrent les événements fondamentaux de
sa vie (ceux que les registres tenus par l'Eglise nous rendent
accessibles).
Ce monde tient ... dans l'espace de deux paroisses, l'urbaine
Kozmin, distante de la rurale Walków de seulement 8 kilomètres.
Nous sommes aux confins sud-orientaux du " duché
de Posen ", terre polonaise dévolue au royaume de
Prusse par les traités de Vienne de 1815.
Kozmin et sa voisine Walków, en tant que chef-lieux de
paroisse, " desservent " à elles deux une vingtaine
de villages ou hameaux différents, tous inclus depuis des
temps immémoriaux dans le même énorme domaine
seigneurial (clavis Cosminensis) que de puissants magnats, les
princes SAPIEHA, ont détenu de 1700 à 1791, et qui
est échu, entre cette date et 1836, à la famille
des KALKREUTH, avant d'être partagé en 1841.
Dans cet ensemble, trois localités ont compté successivement
Rosalie au nombre de leurs habitants: en premier lieu, Cegielnia,
où elle vécut avant son mariage ; ensuite 0lendry
Polskie, où naquirent ses deux enfants légitimes
: de là, il y avait à marcher 6 à 8 bons
kilomètres pour gagner l'église de Kozmin. Et finalement,
depuis le village de Galew, où elle demeura au soir de
sa vie (où étaient déjà morts ses
beaux-parents, et où décéda son mari), l'accomplissement
du devoir dominical lui coûta encore un effort de 6 kilomètres,
mais, désormais, en direction de l'église de Walków.
Même s'il y a eu quelques déménagements,
on ne parlera donc pas de Rosalie comme d'une personne très
mobile ... D'autant que de Cegielnîa à Galew en passant
par Olendry Polskie, si l'on franchit une " frontière
" paroissiale, on ne parcourt que 4 kilomètres ...
Bref, un petit terroir, des horizons bornés, un monde étroit.
Une autre étroitesse, existentielle, caractérise
le monde de Rosalie Le maître-mot, celui qui fut aussi le
mot de la fin (il figure dans l'acte de décès de
Rosalie), c'est la pénurie, la disette. André et
sa femme on vécu, comme on dit de nos jours, sous le seuil
de pauvreté, comme tant d'autres prolétaires ruraux
dont le nombre se multiplie à l'époque. Celle qui
fut d'abord une fille-mère devint la compagne d'un veuf
que les actes des registres paroissiaux qualifient de berger,
de vacher, d'ouvrier agricole ..., et qui connut à l'évidence
la précarité de l'emploi. Rares durent être
les années de vaches relativement grasses au cours de leurs
quelque 16 ans de survie commune.
A prendre les choses statistiquement, et à recourir aux
graphiques dressés par les historiens pour la population
de la Posnanie tout entière au XIX-ème siècle,
on observe, entre 1848 et 1856, une hausse significative du nombre
des décès, et, au cours de cette période
néfaste, on note que les courbes dessinent en effet trois
pics, trois typiques " clochers de mortalité "
révélant sinistrement les dates où le nombre
des cercueils dépassa, et de beaucoup, celui des berceaux.
1856 fut au nombre de ces années noires : ce fut l'année
où l'on creusa la tombe de Rosalie et de son conjoint,
qui eurent donc droit à une mort ... démographiquement
correcte.
André était alors atteint de la maladie du siècle,
la tuberculose, et son état de santé contribua sans
doute à aggraver la situation matérielle du ménage,
en contraignant peut-être Rosalie à aller mendier
des secours de village en village, car elle mourut non pas à
Galew mais à Obra Stara (dans la même paroisse de
Walków cependant). En tout cas, disette pour l'une, phtisie
pour l'autre, Rosalie succomba le lundi 14 avril de cette année
funeste et André lui survécut jusqu'au lundi 28
du même mois. Leur fils Mathias était âgé
de 15 ans.
AU COEUR DU CASSE-TÊTE
Entrons maintenant dans le vif ... de la plaie généalogique
ouverte par mon aïeule de la première moitié
du XIX-ème siècle.
L'irritant problème tient en peu de mots : un bulletin
de naissance insaisissable.
Si les actes de mariage et de sépulture avaient été
plus bavards, on aurait pu lire, d'emblée, le lieu de naissance
et la filiation de Rosalie GRODZICKA. Or, il n'y avait rien. La
valeur de l'âge indiqué au mariage (36 ans), était
incertaine, compte tenu de celui affiché au décès
(40 ans). Il faudrait donc chercher cette naissance dans une fourchette
allant de 1804 à 1816, autant dire, par sécurité,
tout le premier quart du siècle. Quant au lieu, tout ce
qu'on savait, comme il a déjà été
dit, c'était qu'elle était domiciliée à
Cegielnia entre 1837 et 1840.
Pourrions-nous, au minimum, tabler sur les témoins et
les parrains (six personnes en tout), en guise de point d'appui
ou de repère dans nos recherches ? Allons donc, pas un
seul GRODZICKI ne faisait partie du lot, à croire que cette
Rosalie était sans famille.
En conséquence de quoi, c'est en aveugle qu'il fallut
se résigner à " attaquer " les copieux
registres de baptêmes de Kozmin. On parcourut, on lut, ce
qui devait être lu et parcouru. En vain. L'investigation
fut conclue négativement, il n'y eut pas d'eurêka,
plutôt un point ... final.
On avait cependant, en chemin, glané quelques actes touchant
à des GRODZICKI : il était donc possible d'en trouver
en ces lieux. L'un d'entre eux, Joseph, n'était autre que
le premier magistrat de la cité, et noble par surcroît
: trop bien né pour postuler au rôle de père
de notre Rosalie. Un autre, plus réaliste, Paul, se proposait
après 1811, auteur de trois enfants certes, mais de Rosalie,
point. La collecte, poursuivie dans les registres de mariages
et de sépultures, et dans ceux de certaines paroisses des
alentours, pouvait bien grossir de quelques mentions supplémentaires
d'individus mariés ou isolés, jamais n'apparaissait
la possibilité d'étayer un lien de parenté
avec notre ancêtre.
Bien sûr, après ce constat amer, vint l'heure des
questions sans réponse : Rosalie, une enfant trouvée
? Une enfant adoptée ? Et pourquoi pas, née ailleurs
? Ailleurs prochain, ailleurs lointain ? Mais dans ce cas, comment
déterminer cet ailleurs ?
Rosalie GRODZICKA, il te faudrait, décidemment, figurer
au rang des sans-papiers de mon arbre généalogique
!
UNE IDENTITE PIEGEE ?
Le doute s'insinuait pourtant : Rosalie ne se dérobait-elle
pas, seulement parce que je ne la voyais pas ? Mon crucifiant
casse-tête n'était-il en fin de compte ... qu'affaire
d'optique ? Graviter, à l'infini, autour de toutes les
familles GRODZICKI de Pologne et de Lituanie, dans l'espoir d'en
décrocher un jour la pauvre étoile susceptible de
finir prisonnière du canton de Kozmin, cela pouvait tenir
d'ailleurs du rêve, en aucun cas passer pour un programme
pratique d'action généalogique,
Au lieu de " broyer du GRODZICKI ", peut-être
fallait-il se mettre à " penser Rosalie ". Combien
étaient-elles, dans les registres de Kozmin, ces Rosalie,
auxquelles je n'avais nullement prêté attention,
sous prétexte qu'elles ne portaient pas le bon nom de famille
?
Pourquoi ne pas leur accorder enfin un regard et laisser celle
qui, parmi elles, pourrait briguer la qualité d'ancêtre
présomptive, nous adresser d'elle-même... un signe
de reconnaissance ?
Notre méthode d'approche peut surprendre : oublier (un
temps) le nom, et se fier au seul prénom. Il va de soi
qu'on ne saurait la recommander en ces pays, et à ces époques,
où le patronyme est au dessus de tout soupçon, c'est-à-dire
impératif, héréditaire, intangible. Ce qui
n'est pas encore absolument le cas de la Pologne de la première
moitié du XIX-ème siècle, du moins pour une
part appréciable de la population, principalement rurale,
qui vit au plan de l'identité selon des normes coutumières
éloignées de toute froideur abstraite.
Sans vouloir ici explorer toutes les modalités d'un système
de désignation sans doute séculaire, mais qui vit
au siècle passé son chant du cygne, on ne peut pas
ne pas évoquer ces cas nombreux, très nombreux,
où un individu porte, tantôt un nom, tantôt
un autre : cas qui affleurent spontanément au cours d'une
lecture même hâtive des documents paroissiaux dès
qu'un acte associe deux ou trois noms à l'aide d'un "
alias " ou d'un " dictus ", et que la méthode
HENRY de reconstitution des familles, qui exige plus de temps
et d'efforts, révèle le mieux, en profondeur.
Le propre mari de Rosalie, et après lui leur fils Mathias
n'ont-ils pas utilisé plusieurs noms, notamment RZEPKA
et ORPEL, ce dont le souvenir a perduré chez les descendants
du couple, puisque moi-même né en 1956, je pouvais
encore l'entendre conter de la bouche de mon père ? La
tradition familiale (orale, mais certainement nourrie de ces documents
d'état civil de la fin du XIX-ème qui enregistraient
prudemment, et sèchement, cette pluralité de noms)
me fournissait, en somme, la clef du problème, pour peu
que je voulusse bien admettre que ce que je croyais au départ
une exception possédait un caractère de haute fréquence.
Mais, alors que pour les ORPEL, je disposais d'un fil d'Ariane
c'est-à-dire précisément d'équivalences
posées par les actes eux mêmes, le malheur voulait
que j'en fusse privé dans le cas de Rosalie dénommée
de manière univoque GRODZICKA. Par delà ce nom,
tenter d'en deviner un autre, c'était un pari sans doute
téméraire, mais aussi bien avait-il le mérite
de nous affranchir d'un attentisme et d'une passivité stériles.
VICTOIRE ... A LA PYRRHUS ?
Au travail donc ... De 1800 à 1825, des registres de baptêmes
catholiques de Kozmin on extrait la bagatelle de ... 60 Rosalie,
toutes nées en août ou début septembre. Sursum
corda ! Mais, à ne prendre en compte que celles natives
de Cegielnia, on obtient un bouquet réduit au chiffre de
4. Deo gratias ! Ces Rosalie ont nom DOMIN (1801), PACIOREK (1803),
KOCIK (1813), DYMEL (1819). A ce stade, de scrupuleuses vérifications
s'imposent, qui concluent au décès en bas âge
de Rosalie DYMEL, et aux mariages de Rosalie DOMIN et de Rosalie
KOCIK ; à l'inverse, pour Rosalie PACIOREK, on ne décèle
nulle part de mention matrimoniale ni funèbre.
La Rosalie qui vient d'être sélectionnée
est née le 17 août 1803 à Cegielnîa,
donc en un lieu et à une date déjà idéalement
conformes aux données de l'acte de mariage de mon ancêtre,
mais elle peut encore se prévaloir, outre ces critères
de vérité, d'un indice non négligeable, fourni
par ses parents eux-mêmes. Elle est en effet fille de Pierre
et de Marcianne PACIOREK, et le prénom de Marcianne, on
s'en souvient, est justement celui qui a été donné
par notre Rosalie GRODZICKA à son enfant illégitime.
La piste est donc fort sérieuse, il convient de l'emprunter
jusqu'au bout.
Le couple parental PACIOREK, on le découvre vite, ne s'est
pas révélé particulièrement prolifique
: Rosalie n'a eu que deux frères, André et Michel,
nés respectivement en 1801 et 1805, dont l'existence fut
brève, mais qui, post mortem, n'en ont pas moins finalement
beaucoup fait -généalogiquement parlant - pour leur
soeur.
L'aîné, André, est mort en 1802 : il ne lui
aura manqué que trois semaines pour fêter son premier
anniversaire. Le nom de ses parents, tel qu'il est consigné
dans son acte de sépulture, n'est pas alors PACIOREK, mais
SZYIA. Ce qui nous mènera tout droit ensuite vers le décès
de la mère Marcianne SZYIA, le 23 mars 1836, toujours à
Cegielnia. Et ce qui nous fera aussi découvrir, vivant
dans la même localité et dans les mêmes années,
un Woïtek SZYIA dit SZYMCZAK, deux fois marié, qu'on
verrait assez bien comme oncle de Rosalie ...
Quant au second, Michel, mort âgé d'un an et dix
mois en 1807, le contenu de son acte de décès permet
pour ainsi dire une validation inespérée de l'hypothèse
: les parents sont, cette fois, appelés ZAGRODZKI, ce qui
fait resurgir un radical GROD qu'à la vérité
on n'attendait plus !
Une pièce manque pourtant au dossier: le décès
du père. Pierre sort du champ d'observation après
1807, on ignore pourquoi. Faut-il en appeler à la "
grande histoire " ? Cette année-là est marquée
par la fondation, voulue par Napoléon, d'un grand-duché
de Varsovie placé sous administration française,
incluant la Posnanie et la terre de Kozmin, et les retombées
en termes d'imposition, de conscription et de service militaire
ont été immédiatement ressenties ... Jusqu'à
quel point ces retombées ont pu concerner le père
de Rosalie, ceci reste toutefois un mystère.
Quoi qu'il en soit, l'idée que Rosalie ait été
élevée par une mère très tôt
laissée seule, et très jeune (elle serait née
vers 1786 d'après son acte de décès), semble
devoir être retenue.
Une jeune femme restée seule, sauf cas d'abandon par le
mari, a vocation au remariage rapide. Or, est signalé à
Cegielnia, en août 1815, un couple Roch et Marcianne SZYMURA,
à l'occasion du baptême de leur unique fils Barthélémy
(décédé en 1817). Roch qui avait épousé
en 1784 Sophie KACZMARZANKA, la perdit en novembre 1813, et se
remaria, probablement en 1814, avec cette Marcianne qu'il serait
tentant d'assimiler à la veuve de Pierre PACIOREK alias
ZAGRODZKI alias SZYIA. Ce scénario est d'autant plus vraisemblable
que c'est sous le nom de SZYMCZAK que fut rédigé
l'acte de décès de Roch, en décembre 1826,
et l'on a évoqué plus haut la figure d'un Woïtek
SZYIA dit SZYMCZAK, qui suggère d'établir un lien
entre ces deux noms. Si ces conclusions sont exactes, alors Marcianne
aurait épousé un veuf beaucoup plus âgé
qu'elle, même si l'on retire à Roch quelques-unes
des 80 années (les chiffres ronds étant suspects)
dont il est crédité à sa mort.
Ces incertitudes mises à part, il nous reste la satisfaction
d'avoir rendu à Rosalie GRODZICKA ses attaches familiales,
et d'avoir ajouté à sa biographie quelques lignes
qui semblent bien, hélas ! devoir être écrites
d'une encre aussi noire que celles de l'âge adulte. Un père
disparu ... une fratrie évanouie ... une aventure et une
grossesse non désirée dès la disparition
de sa mère
un mariage tardif avec un veuf ... un
seul enfant viable ... une mort de misère et de faim ...
cette vie de 53 ans semble n'avoir été du début
à la fin qu'une existence d'extrême justesse, comme
c'est encore in extremis que l'on a percé à jour
son énigme généalogique!
Etant parvenu à surmonter une difficulté majeure,
on pouvait espérer poursuivre l'enquête généalogique
plus sereinement. Mais la réalité du terrain ne
tarda pas à dissiper nos illusions ... Coup dur sévère,
il faudrait se passer de l'acte de mariage des parents de Rosalie,
puisqu'il manquait le registre des unions catholiques contractées
à Kozmin de 1793 à 1817.
C'était donc à nouveau à tâtons qu'il
faudrait rechercher leurs baptêmes, sans indication de lieux,
d'âges, et même de noms. Paradoxalement, on ne pouvait
attribuer en particulier à chaque conjoint de patronyme
précis, alors même qu'on disposait d'une série
de trois noms dont ils avaient fait usage dans leur période
conjugale. En conséquence, il fallait chercher l'un et
l'autre sous trois dénominations possibles, au moins ...
Mais enfin, c'était " jouable ", et ces noms
serviraient quand même de références dans
les investigations ... Si les registres de la deuxième
moitié du XVIII-ème siècle voulaient bien
se prêter au jeu. Or ils s'y refusèrent obstinément
: pas la moindre mention des noms recherchés. Adieu, SZYIA,
PACIOREK et GRODZICKI, tout cela introduisait seulement ... au
monde du silence.
Navrante conclusion : cette " maison GRODZICKI ", dont
les premiers contours n'avaient été dessinés
qu'à grand-peine, se révélait au premier
coup de pioche dépourvue de fondations !
UN LEVIER D'ARCHIMEDE, ENFIN !
Inopinément se présenta la possibilité de
rouvrir l'ingrat chantier de nos fouilles généalogiques.
Un quidam vivant non loin de Kozmin, contemporain des parents
de Rosalie et porteur du nom de GRODZINSKI, voilà qui méritait
un peu d'attention ! Au risque, d'ailleurs, après examen
de son cas, de devoir l'ajouter au bout du compte à la
liste des GRODZICKI inclassables et tombés d'on ne sait
d'où ...
Notre homme, Joseph, habitait Kaniew, un village qui se rattachait
spirituellement à la paroisse de Wielowies, mais qui était
en revanche partie intégrante, sur le plan économique,
du vaste domaine seigneurial des SAPIEHA et des von KALKREUTH.
Epoux de Pétronille, Joseph fut le père de quatre
enfants, dont les actes de baptême successifs, de 1806 à
1816, permettaient de constater que, mis à part le nom
de GRODZINSKI, le couple utilisait encore ceux de KRYS et de KAPUSCIAK.
Le fils aîné de Joseph et Pétronille, Martin,
nous confirmait le caractère durable de l'ambivalence du
nom familial : en 1834, à son mariage célébré
à Kozmin, il était fait état simplement du
nom de KAPUSCIAK, mais en 1841, au baptême de son fils Ignace,
Martin se retrouvait enregistré sous la double appellation
de GRODZICKI vel KAPUSCIAK.
Manifestement, nous étions confrontés derechef
à un cas d'identité plurielle. Situation forcément
ouverte et indécise ...
Mais, par chance, on connaissait bien la paroisse de Wielowies
: comme on y avait procédé à un travail de
reconstitution des familles pour la période 1746?1828,
on pouvait catégoriquement affirmer que, des KRYS ou des
KAPUSTA (KAPUSCIAK), il s'en trouvait effectivement de mentionnés
à Kaniew, mais qu'il n'y avait pas trace des GRODZINSKI
avant que n'émergeât notre Joseph.
Du coup, on imaginerait volontiers que ce dernier, étranger
à la paroisse, fût venu épouser une fille
native du lieu ... La consultation de l'acte de mariage confirmerait-elle
cette impression ?
Eh bien, pas du tout ! Si cette union avait, de fait, été
bénie dans la paroisse de Wielowies, en janvier 1806, l'acte
attestait aussi que l'un et l'autre conjoints étaient originaires
de Kaniew, aussi bien Joseph que Pétronille.
Mais quelle était donc au juste l'identité des
nouveaux mariés telle qu'affichée dans l'acte de
mariage ? Heureusement, chacun s'y voyait bien attribuer en propre
un nom de famille: pour Pétronille, c'était KRYS.
Pour Joseph, ce n'était pas GRODZINSKI, ce qui à
vrai dire ne nous surprenait pas ; non, Joseph était simplement
déclaré ... SOLTYSIAK.
Un nom de plus ? Pas exactement, enregistrer Joseph sous cette
appellation de SOLTYSIAK, c'était indiquer seulement qu'il
était " fils de soltys ".
Dans la campagne polonaise du XVIII-ème siècle,
les " soltysi " (sculteti en latin) étaient des
paysans qui se distinguaient des autres par leur presque totale
liberté. Ils s'acquittaient certes envers le seigneur local
de quelques redevances définies précisément,
en nature ou en argent, ils étaient aussi tenus d'effectuer
deux ou trois voyages annuels en direction de grandes villes,
avec mission de charroyer des produits pour le compte du seigneur,
mais en dehors de ces obligations, ils étaient indépendants
sur les terres qu'ils possédaient et exempts de toute corvée.
De ce fait, leur sort était en principe bien meilleur que
celui des serfs, même aisés, et ils formaient comme
une élite paysanne.
A en croire le registre des mariages, le futur Joseph GRODZINSKI
serait donc issu de la plus notable part de la société
rurale de Kaniew ! .
Pour vérifier le fait, il fallait désormais se
concentrer sur celles des familles de Kaniew qui appartenaient
à ce groupe de paysans privilégiés, et tâcher
d'y repérer celui qui serait le père de Joseph (né
autour de 1779 d'après l'acte de mariage).
Ces " soltysi " se comptaient à Kaniew sur les
doigts d'une main : on pouvait différencier ceux auxquels
les registres paroissiaux décernaient un nom de famille
spécifique (comme les KRYS dont sortait Pétronille),
et ceux qui n'étaient autrement connus que comme "
soltysi de Kaniew ", en quelque sorte par excellence, au
point de finir par s'appeler tout simplement KANIEWSKI. C'est
dans cette deuxième catégorie, après lecture
attentive des fiches familiales, qu'on découvrit, à
la date du 16 mars 1781 un Joseph, authentique SOLTYSIAK, puisque
né de Valentin et d'Agnès sculteti de Kaniew.
Authentique SOLTYSIAK indéniablement, mais, pour autant,
cela en ferait-il un GRODZINSKI indiscutable ? On n'avait pas,
c'est vrai, d'option alternative : ce Joseph SOLTYSIAK né
en 1781 était le seul à pouvoir être identifié
avec le Joseph SOLTYSIAK marié en 1806, dont il était
établi qu'il ne faisait qu'un avec le Joseph GRODZINSKI
objet de tout notre intérêt. Il pouvait l'être,
en l'absence d'autre candidat manifeste. En somme, c'était
la preuve par le vide. On aurait préféré
quand même des éléments de preuve plus positifs
à cette potentialité source de perplexité.
Car il ne s'agissait pas que de Joseph ... Parmi les treize enfants
de Valentin et d' Agnès SOLTYS KANIEWSKI, on avait en effet
noté la présence d'un Pierre, baptisé le
27 avril 1775 : devrait-on reconnaître en lui celui qui
serait le père de Rosalie GRODZICKA ? On hésitait
encore à se prononcer ... mais la fièvre montait.
Un petit indice apportait un zest de réconfort : l'un
des enfants du SOLTYS KANIEWSKI portait le prénom de Charles,
tout comme l'un des fils de Joseph : ce n'était toujours
pas suffisant pour énoncer un verdict, ce n'en était
pas moins une incitation à persévérer.
Insistons donc ... et puisque nous en étions à
scruter les noms de la progéniture du soltys, demandons-nous
ce que ses autres enfants étaient devenus. Eux aussi étaient
des SOLTYSIAK, eux aussi étaient des KANIEWSKI, et, hormis
le litigieux Joseph, ils étaient encore théoriquement
douze à pouvoir porter témoignage. Mais de ces douze,
pas un seul ne se présenta : au début du XIX-ème
siècle, Kaniew semblait déserté par les enfants
de Valentin. Où ceux-ci étaient-ils donc passés
?
Ils ne s'étaient pas égarés. Pour une part
significative, leurs noms de baptême figuraient sur notre
liste répertoriant les GRODZICKI de la paroisse de Kozmin,
des célibataires : Thomas GRODZINSKI alias GRODZICKI, décédé
à Kozmin en 1829, Thècle GRODZICZANKA, morte à
Olendry Polskie en 1807, Jacques GRODZICKI, disparu aussi à
Olendry en 1813 ; et des gens mariés : Paul GRODZICKI alias
GRODZINSKI, époux de Cunégonde (et père d'un
petit Joseph), qui s'éteignit à Kozmin en 1838 ,
Woïtek GRODZICKI, veuf de Barbara et remarié à
Elisabeth WUJEC, mort à Olendry Polskie en 1843, sans oublier
notre ancêtre Pierre ZAGRODZKI alias PACIOREK alias SZYIA.
Thomas, Thècle, Jacques, Paul, Woïtek, Pierre (les
GRODZICKI de Kozmin), avec Joseph (le GRODZINSKI de Kaniew), ces
sept prénoms se retrouvaient inscrits aussi dans la liste
des enfants de Valentin SOLTYS KANIEWSKI. Pouvait-on rester insensible
à cette correspondance des deux séries de prénoms,
quand on savait par ailleurs qu'il existait un Joseph qui cumulait
en sa personne les deux noms de SOLTYSIAK le jour de son mariage
et de GRODZINSKI par la suite (notamment le jour du baptême
de son fils Paul ? Grâce à cette parfaite convergence
des prénoms et à l'existence de ce providentiel
" homme clé ", on était en mesure d'admettre,
sans risquer l'accusation de perpétrer un " putsch
" généalogique, que nos GRODZICKI s'avéraient
bel et bien issus du soltys de Kaniew.
Rosalie GRODZICKA gagnait de la sorte, en ligne paternelle, des
grands-parents et toute une parentèle ! La prolétaire
de Cegielnia plongeait ses racines chez de notables propriétaires
du village de Kaniew!
AUTOUR DU PATRIARCHE DE KANIEW
Au sentier passablement angoissé jusqu'ici emprunté
succédait un boulevard généalogique : passant
d'une fiche familiale à l'autre, on balayait sans coup
férir les informations disponibles sur nos ancêtres
inattendus de Kaniew. Un regret malgré tout : ce boulevard
triomphal ne menait que jusqu'en 1746, les registres de baptêmes
de la paroisse de Wielowies ne remontant pas plus haut.
Le mariage de Valentin et d'Agnès avait été
célébré à Wielowies le 19 février
1770, unissant un veuf et une célibataire pour le meilleur,
pour le pire et pour 23 ans de vie commune. La première
femme de Valentin, Hedvige MASLOWSKA, était morte en couches
à 33 ans, le 14 décembre 1769. Le délai très
court entre les funérailles et les noces était à
l'époque monnaie courante. Hedvige, épousée
en 1758, fille de Grégoire, organiste de Kozmin, avait
donné quatre enfants à son mari, tous baptisés
à Kozmin où résidait le jeune ménage.
Dans les registres, le nom des parents est alors précédé
du terme latin caractéristique " Famatus " (très
honorable) réservé aux personnes de condition bourgeoise
(terme se distinguant du " Generosus " des nobles et
du " laboriosus " des travailleurs). Cependant, en 1769,
le service funèbre rendu à Hedvige fut chanté
à Wielowies et le domicile de Valentin (dorénavant
qualifié d' " honestus ", honorable) resta solidement
fixé à Kaniew, dont il était originaire comme
sa seconde épouse Agnès.
Vraisemblablement, celle?ci représentait pour Valentin
un parti moindre qu' Hedvige MASLOWSKA, mais certainement pas
à dédaigner. Ses parents, André et Anne MACIEJEWSKI,
exerçaient le métier de garde-forestier et on se
contente souvent de les dénommer ainsi, LESNY en polonais
et " silvestris " en latin. A l'occasion, André
et Anne sont salués respectueusement eux aussi d'un "
honestus " de bon aloi et ils ont même droit in fine
au terme de scultetus : du moins, c'est ce qu'on trouve noté
(" scultetissa ") dans l'enregistrement de la sépulture
d'Anne (décédée le 28 octobre 1788).
En fait, notre garde-forestier devait être simultanément
cultivateur, assez cossu pour parvenir à se dégager,
par rachat, de la servitude et de la corvée : les princes
SAPIEHA, détenteurs des droits seigneuriaux, se prêtaient
volontiers à ces opérations d'affranchissement,
rentables financièrement, d'où la multiplication,
dans les villages de leur domaine de Kozmin, de cette catégorie
un peu dévaluée de " néo-sculteti ".
Après la disparition d' André MACIEJEWSKI, le 21
avril 1787, ses deux fils, Jean et François, assumèrent
les fonctions et qualités du père, en se les partageant
: à Jean, l'aîné, revint le rôle de
garde-forestier, et celui de " scultetus ", inséparable
de l'épithète d' " honestus ", au cadet
François. Ce François s'était distingué
pourtant fâcheusement, à la rubrique faits divers
un jour d'octobre 1783, en ... assassinant sauvagement, à
coups de couteau et de bombarde, un vieux berger du nom de Martin,
retrouvé mort dans les broussailles non loin de Kaniew.
La justice dut se montrer clémente : notre François
célébra ses noces à quelques mois du décès
de son père, en septembre 1787.
Quant aux sept filles connues d'André et Anne, deux moururent
jeunes, et les autres conclurent des alliances inégales
: l'une épousa un fils de garde-forestier, une autre un
paysan possesseur d'une demie - tenure de terre (" semicmeto
"), une troisième un paysan sans terre. Finalement,
de toutes, ce fut apparemment l'aînée, Agnès,
qui, en s'unissant à Valentin le soltys de Kaniew, réalisa
le plus beau mariage, en termes de condition sociale s'entend.
Les aléas de la conservation des archives expliquent qu'on
ne dispose pas de l'acte de baptême d'Agnès, née
avant 1746, mais sa filiation ressort de façon médiate
chaque fois que son lien de parenté avec ses frères
et soeurs, nés après 1746, se trouve précisé
dans les registres : à titre d' exemple, quand en 1787
se Marianne François MACIEJEWSKI, le premier témoin
cité est notre Valentin KANIEWSKI, accompagné en
la circonstance de " son épouse soeur germaine du
jeune marié ".
Pour Valentin KANIEWSKI, né lui aussi, forcément,
avant la date-butoir de 1746, cette chance de retrouver la filiation
par l'intermédiaire des frères et soeurs ne nous
est pas offerte. Toutefois, on sait que Valentin est lui-même
fils de soltys (SZOLTYSIAK, en 1770) et justement on s'avise qu'il
existait un second soltys par excellence observable à Kaniew
de 1749 jusqu'à l'année de son décès
survenu le 29 mars 1769. Soltys dont le prénom, Pierre,
a valeur de signal envers nous qui sommes bien placé pour
savoir qu'il fut choisi par Valentin pour l'un de ses fils. Au
cours de cette double décennie, Pierre engendra, de sa
femme Marianne, neuf enfants, dont six filles. Nous réalisons
qu'il s'agit là d'enfants d'un deuxième lit, puisqu'une
autre Marianne, donnée comme la conjointe de Pierre SOLTYS,
trépassa le 18 mars 1748. On présumera donc, sans
trop de scrupules ni d'hésitations, que le soltys de Kaniew
Valentin a toutes chances d'être le fils du soltys de Kaniew
Pierre et de sa première épouse Marianne.
Il est possible de suivre Pierre scultetus de Kaniew au-delà
de 1746, à la faveur de ses apparitions comme parrain ou
témoin dans les paroisses voisines de Wielowies. C'est
celle de Mokronos, et plus précisément le village
de Gosciejewo, qui en détient les mentions les plus nombreuses
et les plus anciennes. Pierre est cité dès 1726,
ainsi que l'année suivante, une Apolonia épouse
du scultetus de Kaniew : il se pourrait donc bien que Pierre ait
eu encore une autre femme avant les deux Marianne qui partagèrent
sa vie. Et il est probable aussi qu'il ait eu des attaches familiales
dans ce village de Gosciejewo, vraisemblablement avec ce Roch
scultetus dont quatre enfants, entre 1753 et 1765, furent tenus
devant les fonts baptismaux par Pierre lui-même ou sa femme.
Il est également intéressant de regarder le choix
des parrains et marraines opéré par nos deux soltysi
de Kaniew : il témoigne de leurs liens tant sur le plan
familial que socio-professionnel et géographique.
S'agissant de Pierre, le nombre de parrains connus est de 18
; sur ce chiffre, on compte 11 habitants de Kozmin, des bourgeois
appartenant à la couche supérieure et dirigeante
de la cité ainsi que deux ecclésiastiques. Les autres
viennent des villages de Staniew et de Czarny Sad (même
paroisse de Kozmin), de Bozacin (Lutogniew) et enfin de Benice.
On relève même parmi les marraines une demoiselle
de la (petite) noblesse. Aucun habitant de Kaniew par contre ne
trouve place dans cette liste.
Du côté de Valentin ensuite, la liste se compose,
pour les enfants du premier mariage, de 4 personnes (sur un nombre
théorique de 6, compte tenu de ceux qui reviennent plusieurs
fois), tous bourgeois de Kozmin ; et pour la progéniture
d'Agnès, de 15 (au lieu de 26 théoriques), dont
2 seulement sont de Kozmin ; 9 d'entre eux, cette fois, demeurent
à Kaniew, notamment la femme de l'aubergiste, six fois
mise à contribution (c'est la sage-femme du village, dont
les filleuls ne se comptent plus ... ), mais aussi le forgeron,
des soltysi, les frères et un beau-frère d'Agnès;
les 4 derniers proviennent de Wielowies (l'organiste paroissial),
de Borzencice près de Walków (l'aubergiste), de
Benice (un charpentier) et de Czarny Sad.
Il reste bien sûr délicat d'interpréter ce
" réseau " de la parenté spirituelle.
Il est clair que les deux soltysi ne sont pas enfermés
dans des relations limitées aux gens de leur cru, mais
par ailleurs, on ne sort pas de trois ou quatre paroisses, et
pratiquement pas du domaine des princes SAPIEHA, exception faite
de Benice et de Bozacin. Une seule ville semble exercer une attraction
sur nos KANIEWSKI, c'est naturellement Kozmin, quoique sa part
se réduise nettement avec Valentin, non le Valentin quasi
bourgeois des débuts, mais le Valentin enraciné
sur sa terre de Kaniew.
Cette terre qu'ils détenaient, voilà qui constituait
au demeurant l'horizon principal de Pierre puis de Valentin SOLTYS,
qui menèrent classiquement une vie soumise au cycle naturel
des saisons et des travaux agricoles, transcendé mais assumé
par le rythme festif du calendrier liturgique de l'Eglise. Nous
ignorons à quel point leurs affaires prospérèrent
(encore que nous voyons Valentin accorder de son vivant ses deux
filles du premier lit en mariage à des meuniers), mais
il nous est loisible de lire la bénédiction divine
dans le nombre tout à fait conséquent de leurs enfants.
Comme on le sait déjà, Valentin et Agnès
en mirent au monde treize, sur une période de vingt ans
entre 1771 et 1790 : des bébés qui " tombaient
" en moyenne tous les 19 mois, probablement allaités
par des nourrices pour laisser la mère voler de grossesse
en grossesse. Belle fécondité qui fait contraste
avec le nombre étriqué d'enfants de Marcianne et
de sa fille Rosalie GRODZICKA, et qui est comme emblématique
d'une position sociale nettement plus favorable.
C'est pourtant trois ans à peine après la naissance
de son ultime enfant qu'Agnès, le 25 mars 1793, prit congé
de la vie : elle n'était âgée que d'une cinquantaine
d'années. Valentin ne tarda guère à la rejoindre
dans la tombe : il disparut le 25 janvier de l'année suivante,
ayant atteint quant à lui une soixantaine d'années.
Dès lors, leurs nombreux enfants se muèrent en
orphelins, les derniers en bas âge. Les registres de catholicité
ne disent évidemment rien d'éventuelles dispositions
testamentaires, du règlement de la succession, du choix
des tuteurs. On pressent néanmoins que ce drame familial
dans la maison du soltys de Kaniew a quelque chose à voir
avec la " galère " qu'ont vécue les GRODZICKI
de la première moitié du XIX ème siècle.
Il se déroule, de plus, à un moment historiquement
sensible, celui des deuxième et troisième partages
du pays : la Pologne démembrée agonise, et la postérité
du soltys, tout à la fois privée de père
et de patrie, devient sujette du roi de Prusse, dont l'administration
et la législation ont pu avoir leur mot à dire dans
la dévolution des biens et des terres du défunt.
Mais faute de sources, on ne peut être plus précis
sur ce point qu'il aurait été très intéressant
d'éclairer.
GRODZICKI, UNE RESURGENCE ?
Quand le patriarche de Kaniew délaissa, pour paraphraser
une formule du latin d'Eglise, ce monde terrestre pour gagner
la patrie céleste, son quatrième fils Pierre se
trouvait dans sa dix-neuvième année et était
donc mineur. Il atteignit sa majorité légale (fixée
alors à 24 ans) en 1799 et comme on sait, devint père
dès 1801. Comme déjà dit aussi, nous l'appréhendons
alors par deux fois sous le nom, autrement inconnu des registres
de Kozmin, de PACIOREK.
Ce nom sans lendemain, ce nom éphémère détient
peut-être son pesant d'information sur ces quelques années
d'histoire obscure de notre aïeul Pierre.
Paciorek est un nom commun qui possède selon le dictionnaire
deux significations : soit il désigne la perle d'un collier
(ou d'un rosaire), soit il représente, et c 'est le sens
premier, la forme diminutive de pacierz et il veut dire prière.
En tant que nom de famille, PACIOREK, descendant polonais du Pater
noster latin bien connu, a dû initialement avoir la valeur
d'un sobriquet plus ou moins railleur.
Ici ou là, au gré de nos recherches généalogiques,
nous sommes tombés sur des individus porteurs de ce nom,
et pour la plupart, de religion protestante : caractère
qui, en Pologne, le plus souvent, va de pair avec une origine
allemande. A ces mêmes PACIOREK sont attribués d'ailleurs
parallèlement d'autres patronymes de consonance véritablement
germanique.
Or, les livres paroissiaux de Wielowies recèlent, au bas
d'un acte de mariage daté du 5 novembre 1810, la trace
discrète d'un tel " dissident ", Valentin PACIOREK,
domicilié dans notre village ancestral de Kaniew : preuve
que la population polonaise locale appliquait ce sobriquet à
une (ou à la seule) famille protestante installée
à demeure chez elle. Plusieurs fois cité, malgré
sa qualité de dissident religieux, comme témoin
ou parrain, ainsi que sa femme Suzanne, ce Valentin, socialement
qualifié de " scultetus " ou d' " okupnik
" (paysan libéré de la corvée par rachat),
portait le nom allemand de BADE. On retrouve les membres de cette
famille BADE dans les registres de mariage de la paroisse évangélique
(luthérienne) de Kozmin . Signe possible d' " intégration
", au mariage de son fils Friedrich en 1820, on prend la
peine de noter le prénom de Valentin BADE sous trois formes
différentes, et en premier lieu sous sa forme polonaise
de Walek!
Entre ce Valentin baptisé PACIOREK par la vox populi et
notre Pierre ZAGRODZKI un temps réputé PACIOREK
lui aussi, nous soupçonnons qu'il a dû se nouer une
quelconque relation d'affinité, consécutive, pourquoi
pas, à la disparition de Valentin KANIEWSKI. Pierre s'est-il
engagé comme valet de ferme au service des BADE, ou même,
a-t-il été déclaré leur pupille ?
Logé notoirement durant plusieurs années chez les
" PACIOREK " de Kaniew, on comprendrait alors pourquoi,
une fois marié, il fut à Cegielnia doté de
cette identité transitoire. On connaît bien d'autres
cas où une personne s'appropriait, ou plutôt se voyait
conférer, le nom de la terre qu'elle cultivait, de la ferme
qu'elle habitait, du patron qui l'employait... Mais indépendamment
de cette hypothèse séduisante et conforme à
l'usage coutumier, une chose est sûre: le nom de PACIOREK
que nous avons trouvé accroché au père de
Rosalie GRODZICKA, c'est un doigt de plus qui pointe généalogiquement
en direction de Kaniew.
Si nous entrevoyons confusément le processus qui a conduit
l'un des enfants KANIEWSKI à récupérer cette
appellation de PACIOREK, quel est donc celui qui en a amené
sept à " basculer " sous celle de GRODZICKI ?
On aperçoit bien une raison objective: la perte de la terre
du soltys de Kaniew. Aux orphelins déchus du fonds et du
nom paternels, se devait d'échoir en partage une identité
neuve.
Neuve, choisie arbitrairement ? Nous pouvons en douter : les
conglomérats de noms agglutinés autour d'un individu
donnent souvent au généalogiste qui s'y empêtre
le sentiment que régnait un " flou identitaire "
généralisé, soumis à de brusques changements
inexpliqués, mais cette capricieuse " météorologie
onomastique " n'est que d'apparence ; ces variations avaient
leur fonctionnalité et leur raison d'être, compte
tenu que les noms ruraux, pourtant très stables et très
anciens en eux-mêmes, n'étaient alors que des supports
provisoires d'identité, traduisant la situation familiale,
mais aussi économique et sociale de la personne.
Alors, pourquoi cette émergence du nom de GRODZICKI après
1800 ? Pour éclairer un peu cette question, faisons un
détour du côté de Galew, village que nous
connaissons déjà, peuplé d'une pléthore
de soltysi. Parmi ceux-ci, on distingue de nouveau ceux qui le
sont par excellence et qui se passent de tout autre nom : à
l'imitation de Kaniew qui a ses KANIEWSKI, on a donc ici de purs
soltysi de Galew, des GALEWSKI.
Pour les suivre, nous pouvons aussi nous appuyer sur un travail
systématique de mise en fiches familiales, avec cet avantage
que les registres de Walków permettent de remonter jusqu'en
1711. De l'examen de ces fiches, il ressort que les divers SOLTYS
alias GALEWSKI sont tirés d'une souche unique, puisqu'ils
descendent tous d'un Paul " scultetus " marié
en 1742 à Agnès JANCOWNA. Au fil du temps, des membres
de la famille s'individualisent, momentanément, en devenant,
qui MALINA, qui PIDAK, c'est-à-dire en reprenant des noms
anciennement usités du terroir de Galew. Mais, à
l'aube du XIX-ème siècle, toute cette famille se
met à recourir (quoique non exclusivement) au patronyme
de KOWALSKI, parfaitement courant en Pologne (kowal signifiant
forgeron), mais totalement ignoré jusque là à
l'échelon de ce village de Galew.
On pourrait sans fin se perdre en conjectures sur les raisons
du " choix " étonnant d'un banal KOWALSKI, préféré
à un GALEWSKI ou un SOLTYS tout aussi honorables, si le
totalement qu'on vient d'écrire ni avait souffert une exception
: dans l'acte rédigé en 1745 pour le baptême
d'un fils de Paul, le nom de KOWALSKI, suivi de l'inévitable
scultetus, figure en toutes lettres, pour l'unique fois de tout
le XVIII-ème siècle. Le nom qu'on aurait pu croire
une nouveauté " forgée " pour satisfaire
à des besoins administratifs modernes n'avait donc fait
que cheminer souterrainement, à l'insu, ou presque, des
registres de la paroisse.
Pour en revenir à notre propos, et fort des enseignements
de ce cas analogue, nous inclinons à penser que nos soltysi
de Kaniew portaient déjà au XVIII-ème siècle,
en quelque sorte à titre privé, ce nom de GRODZICKI
dont leurs descendants du XIX-ème paraissent si soudainement
investis : un nom qui ne fut pas volontairement occulté,
mais qui resta comme inexprimé à l'arrière?plan,
supplanté par la force tranquille de ce statut social de
soltys. Quand ce statut faillit dans les circonstances que l'on
sait, il devint inadéquat de parler de soltysi de Kaniew
à propos de gens qui ne l'étaient plus. Inactuel,
et en un sens cruel, KANIEWSKI s'effaça, et GRODZICKI s'imposa,
dans la continuité d'une tradition familiale dont les archives
paroissiales n'ont gardé il est vrai, sauf distraction
de notre part, aucune trace probante.
Le nom de KANIEWSKI, cependant, poursuivit une carrière
des plus honorables, mais par l'entremise d'un demi?frère
de Valentin. Un Pierre KANIEWSKI en effet (né en 1758 du
second mariage de Pierre soltys de Kaniew) fait son apparition
dans les registres de Kozmin à partir de 1792. Meunier
de profession, marié à une Gertrude (alias Suzanne)
et installé au village de Staniew, il jouit de signes extérieurs
de notabilité qui ne trompent pas : les épithètes
d' " honestus " et même de " famatus "
pour lui?même, et pour ses sept enfants, un parrainage honorifique
choisi entre quelques?uns des représentants les plus éminents
de la bonne bourgeoisie de Kozmin. Ce KANIEWSKI de Staniew se
pose en digne successeur de nos soltysi de Kaniew.
On imagine sans peine, au sein de ces lignées rurales
marquées par les veuvages et les remariages, les tiraillements
provoqués par les délicates questions d'héritage.
Se peut-il qu'une affaire de ce genre ait abouti à une
division familiale, et que la branche issue de Valentin et d'Agnès
ait trouvé dans l'emploi du nom GRODZICKI une manière
de formaliser la scission ? On ne sait, mais on en évoque
au moins l'éventualité, car les raisons ont pu être
diverses et se cumuler qui firent tomber le nom de KANIEWSKI en
désuétude.
Pour parachever l'enquête sur les épines, pardon,
les racines paternelles douloureusement enchevêtrées
de notre Rosalie GRODZICKA, nous ne pouvons mieux faire que de
laisser briller son nom une dernière fois, à la
lumière de l'étymologie. Cette science est capable
des pires tortures, mais dans le cas présent, simple et
transparent, nous n'aurons pas à recourir à ces
extrémités. On y reconnaît sans difficulté
un radical grod, répandu dans tout le monde slave, où
il désigne l'oppidum, la cité fortifiée,
le bourg. En Pologne, il se repère dans quantité
de noms de lieux, tels que Grodziec, Grodzisk, Gródek ...
Un homme lié d'une façon ou d'une autre, et par
exemple par ses origines, à l'une de ces localités,
pouvait recevoir le nom de GRODZICKI.
Opter pour ce Grodziec-ci ou ce Grodzisk-là, décréter
que ce fut ici sur la carte, et non ailleurs, le berceau de cette
famille, on ne s'y risquera pas, étant donnée la
minceur de nos connaissances sur les GRODZICKI du domaine de Kozmin.
Mais qu'il soit ici permis de rêver un peu : je dirai ma
préférence pour une paroisse proche de Kozmin, de
Kaniew et de Benice : il s'agit de Stary Gród, le Vieux
Bourg, où près de la rivière Orla, sont toujours
visibles les fossés et le remblai d'un château datant
du XIII-ème siècle. Situons en ces lieux le "
gród " mythique, le " gród " évanoui
que quitta, un jour, l'un de nos ancêtres anonymes. Ce jour?là,
il prit la route, tout droit vers le nord, vers Kozmin, une route
qui passait par Kaniew ...
JALONS POUR L'HISTOIRE DES SZYIA
Maintenant que nous avons jaugé, mesuré, estimé
à l'envi ... les droits de Rosalie GRODZICKA et de son
père dit PACIOREK à l'héritage des SOLTYS
KANIEWSKI, tournons-nous vers Marcianne, c'est-à-dire vers
le nom de SZYIA qui semble légitimement devoir lui revenir,
et regagnons par conséquent le village de Cegielnia, seul
endroit où la présence de SZYIA soit manifeste dans
la première moitié du XIX-ème siècle.
Hélas, nous savons pertinemment que nous allons au-devant
de nouvelles difficultés, puisqu'en amont de 1800, les
registres de baptêmes ou de mariages de Kozmin s'en tiennent
sur les SZYIA à un silence absolu.
Mais l'habitude est dorénavant bien ancrée, on
ne saurait rendre les armes sans avoir au moins livré bataille.
Opportunément, nous savons que nous disposons d'un allié
en la personne de Woïtek SZYIA alias SZYMCZAK, déjà
cité précédemment. Supposons-le frère
de Marcianne, et voyons le parti qu'il sera possible d'en tirer
...
L'oncle présumé de Rosalie est observable de 1810
à 1837 (où il meurt de phtisie), successivement
époux de Françoise (décédée
à la Noël 1819) et de Barbara ANDRZEYCZANKA, celle-ci
fille de berger. Paysan sans terre, Woïtek semble n'avoir
jamais bougé de Cegielnia, où il est connu sous
les deux noms de SZYIA et de SZYMCZAK, pratiquement utilisés
en alternance, et parfois simultanément, dans les actes
dressés à l'occasion des onze baptêmes de
ses enfants et à celle des décès familiaux.
SZYMCZAK appartient à la catégorie des noms construits
à partir d'un prénom : il équivaut à
" fils, descendant de Simon " (Szymon, en polonais).
Des noms de ce type se forment couramment aux XVII-ème
et XVIII-ème siècles, et encore au début
du XIX-ème. Il est donc légitime de se demander
si, par hasard, notre Woïtek ne serait pas effectivement
le fils d'un Simon.
Hypothèse facile à tester : pour Kozmin aussi et
les localités qui en dépendent, nos fiches familiales
sont prêtes, couvrant exhaustivement la période 1758?1825.
Cegielnia a bien son Simon (c'est d'ailleurs le seul), père
d'un Woïtek né en 1787. L'ennui, c'est que sa fiche
ne comporte aucune enfant prénommée Marcianne.
Faut-il disqualifier ce Simon pour ce seul motif et renoncer
du même coup à l'unique piste sérieuse que
nous possédions ?
Ce serait faire preuve de trop de légèreté
; en outre, nous avons au moins une bonne raison de " tenir
" à notre Simon de Cegielnia. Si Woïtek est né
en 1787, un intervalle de près de sept années le
sépare de ses deux soeurs aînées, Agnès
et Thècle, pour leur part nées en 1778 et 1780.
L'anomalie démographique que représente cet intervalle
vide d'enfants se verrait heureusement corrigée si une
Marcianne venait au minimum s'y insérer.
Au minimum, car on a dépisté un autre SZYMCZAK
probable rejeton du même Simon. Le cheminement de la découverte
est sobrement classique : on relève d'abord qu'en 1813,
une fille de Woïtek SZYIA a pour marraine une Marguerite
SZYMKOWA, dont elle reçoit d'ailleurs le prénom.
Vérification faite, cette Marguerite est identifiée
comme étant la femme d'un Jean SZYMCZAK, qui lui fait onze
enfants de 1806 à 1827. Ce dernier n'est jamais désigné
du nom de SZYIA, en revanche il porte parfois celui de NOWAK (qui
est le nom de jeune fille de Marguerite), et c'est en tant que
Jean NOWAK qu'on le retrouve en 1823 parrain d'un autre enfant
de Woïtek. Ledit Woïtek, du reste, lui rend la pareille
en 1827 : la dernière-née de Jean et de Marguerite
est sa filleule. Bref, les indices concordent assez pour que Jean
SZYMCZAK dit NOWAK soit reconnu comme frère de Woïtek
SZYIA dit SZYMCZAK ainsi que de notre ancêtre Marcianne
SZYIA ; une des filles de Jean, née en 1819, ne porte-t-elle
pas significativement ce prénom de Marcianne ?
En 22 ans de mariage, Jean et Marguerite SZYMCZAK ont doucement
dérivé autour de Kozmin : domiciliés d'abord
à Olendry, puis à Orla, un moment à nouveau
à Olendry, ensuite à Mogielnica et à Cegielnia,
ils se fixent, enfin, dans le village de Obra, où Marguerite
décède en mai 1828, donnant à son compagnon
la faculté de contracter cinq mois plus tard une nouvelle
union avec une veuve de Walków, Josèphe SMURZYNA
(née GABRYELANKA alias KOSTOJOWNA) : ce qui amène
Jean à déménager dans cette dernière
localité, et c'est là que son existence s'achève
en 1832.
La première épouse de Jean, Marguerite NOWAK, mérite
une mention particulière : native d'Olendry, elle est issue
d'un père meunier (MLYNARZ, molitor), André, qui
a épousé en 1785 à Wielowies une Marianne,
la propre fille de Valentin KANIEWSKI et de sa première
femme Hedvige MASLOWSKA !
Simon de Cegielnia aurait donc vu deux de ses enfants faire alliance
dans la maison du soltys de Kaniew : Marcianne, avant 1801, avec
un fils, et Jean, avant 1806, avec une petite-fille de Valentin.
Cupidon, paraît-il, décoche ses flèches amoureuses
les yeux bandés, mais, en l'occurrence, les raisons de
ce double mariage doivent plutôt être recherchées
du côté d'une stratégie d'intérêt
tissant entre deux familles des liens de solidarité.
Un autre point commun généalogique réunit
Marcianne et Jean, l'absence de bulletin de naissance. C'est agaçant,
mais on a vu que le nom de SZYMCZAK, replacé dans son contexte,
délivre de lui-même une précieuse information
sur la filiation qu'on cherche à démontrer.
En attendant de découvrir, un jour, dans une paroisse
plus ou moins proche, l'acte de baptême, s'il existe encore,
qui permettra d'établir de manière irréfutable
la filiation de Marcianne SZYIA, la politique la plus sage consiste,
en bonne méthode, à cerner au plus près celui
dont on s'attend à authentifier la paternité.
Simon, que nos registres ne nomment nulle part SZYIA, souffre
d'un grave déficit d'identité : le 16 novembre 1773,
quand il se Marianne, on ne donne pas son nom de famille. On indique
seulement qu'il est célibataire, valet de ferme (famulus)
et originaire d'Olendry. Il se fixe à Cegielnia, qui est
le village de sa femme Madeleine DYMLOWNA. Deux filles naissent,
Hedvige et Catherine. Au baptême de la seconde, en avril
1777, on enregistre pourtant le couple Simon et Madeleine sous
le nom de STRYI (inusité dans la paroisse, mais "
stryj " en polonais veut dire oncle paternel). Peu après,
le 29 juin 1777, Simon convole pour la deuxième fois, sous
les auspices du nom de DYMELCZAK, hérité de Madeleine
(dont l'acte de sépulture n'a pas été trouvé,
mais dont la mort est indirectement prouvée au décès
de sa fille Hedvige en 1779, puisque celle-ci est déclarée
alors " fille de Simon et de défunte Madeleine "
, filia Simonis et olim Magdalenae ).
Sauf en ces deux occasions, l'anonymat est donc de règle
: tout au plus, Simon apparaît-il qualifié du terme
latin d' inquilinus ( un terme qui désigne le paysan dépourvu
de terres, soit le " komornik " qui loue une pièce
chez quelqu'un, soit le " chalupnik " qui possède
sa maison).
Une sécheresse identique préside à la rédaction
de l'acte qui clôture officiellement le passage sur terre
de notre Simon, disparu à 60 ans le 15 février 1806
: on y lit seulement un laconique, mais éloquent "
pauper " (pauvre). Sa veuve, Marianne, lui survivra de longues
années encore : elle ne décédera que le 24
novembre 1820, âgée de 78 ans et dite alors, très
logiquement, SZYMCZAKOWA.
Demeure jusqu'au bout obscur le cheminement qui a conduit les
enfants de Simon à endosser le nom SZYIA : s'agit-il d'un
héritage ou d'une acquisition ? Il faut bien éluder
cette question, puisqu'on n'a pas les moyens d'y répondre.
Ce n'est point faute de ne pouvoir percer la signification de
ce nom : szyja est le mot qui désigne en polonais le cou,
une partie du corps qui, parmi d'autres, a donné naissance
à un nom propre, appartenant à la famille de ces
sobriquets pas très charitables qui viennent souligner
une particularité ou une disgrâce physiques.
L'étonnant, dans cette affaire, est ailleurs : contrairement
aux registres de baptêmes ou de mariages, qui ne pipent
mot des SZYIA, ceux des sépultures trahissent, contre toute
attente, leur présence !
Voici, le 2 avril 1771, une Catherine SZYINA, " komornica
" (locataire) de Orla, qui rend le dernier souffle à
96 ans. Le 20 avril 1766, c est encore un Martin SZYIA qui meurt
à Cegielnia, où un Thomas SZYIA est aussi disparu
le 29 avril 1740. Voilà de quoi en théorie composer
une famille, mais il n'a pas été possible de lier
ces individus entre eux, ni à Simon ou à l'une de
ses deux femmes.
En vérité, les deux premiers SZYIA cités
se retrouvent aussi, à bien y regarder, dans les autres
livres de catholicité, mais jamais comme parents : Catherine,
de Mogielnica ou de Cegielnia, est plusieurs fois invitée
comme marraine, en 1730, 1732, à la fin des années
quarante et au début des années cinquante. Martin
est témoin de mariage à deux reprises en 1753. Une
Hélène SZYINA, de Mogielnica, est marraine en 1747
mais il s'agit peut-être, en l'espèce, de l'une de
ces erreurs de prénom dont les registres de Kozmin, à
l'époque, s'avèrent fréquemment coupables.
En outre, une mention, pareillement solitaire et funéraire,
d'une Anne SZYINA a été trouvée, mais à
Dobrzyca, bourgade voisine de Olendry et de Cegielnia, siège
d'une paroisse autonome : mention précieuse puisque datée
du 5 mars 1696. Ainsi, étrangement, le nom SZYIA jouit,
sur le terroir où nous menons nos recherches, d'une ancienneté
tout à fait vénérable, et se perpétue
durant un bon siècle, sans qu'ait jamais été
enregistré le moindre mariage, ni la moindre naissance
d'un représentant de cette famille ! Mais rien ne prouve,
au fait, qu'il s'agisse d'une famille. Un nom de terre, ou de
maison, qui se serait transmis aux occupants successifs, en dehors
de tout lien de parenté et de toute hérédité
? On peut envisager, sans certitude, cette solution.
Ce qui est sûr, à l'inverse, c'est que le nom des
SZYIA ne peut plus être considéré comme de
provenance récente et extérieure à la paroisse
de Kozmin. Malgré le flou de nos informations, les traces
recueillies in situ esquissent comme la " préhistoire
" du nom porté par Marcianne et son frère Woïtek,
et cette préhistoire qui remonte à la fin du XVII
âme siècle, se trouve liée aux localités
très proches de Cegielnia, Mogielnica, Orla et Dobrzyca.
SOUS LE JOUG DE L'ANONYMAT
L'identité originelle de la mère de Marcianne,
Marianne, n'est malheureusement pas plus clairement accessible
que celle de son père Simon. De la lecture de l'acte matrimonial
de 1777, il ressort seulement que Marianne a eu, avant Simon,
un premier mari.
Faute de nous livrer son nom, Marianne nous réserve une
surprise : elle viendrait du village de Kaniew. Assiste qui plus
est à la bénédiction nuptiale, en l'église
Saint Laurent de Kozmin, au titre de premier témoin, un
certain ... Valentin scultetus de Kaniew qui semble décidément
omniprésent, directement ou indirectement, dans notre recherche
sur les origines familiales de Marcianne SZYIA.
De la présence du soltys de Kaniew au mariage de Simon
et Marianne, faut-il inférer l'existence d'une relation
de parenté avec eux ? On ne saurait échapper à
l'impression tenace que les destins des familles KANIEWSKI/GRODZICKI
et SZYMCZAK/SZYIA n'ont pas attendu l'aube du XIX-ème siècle
pour se croiser.
Les chemins de Cegielnia mèneraient-ils donc une fois
encore à Kaniew ? Marianne, la veuve de Kaniew qu'a épousée
Simon, détient sans doute la clé du mystère
...
Pour dissiper, ou du moins estomper, le brouillard qui plane
sur notre Marianne, il nous faudrait déterminer l'identité
de celui qu'elle épousa d'abord. Remontant ensuite vers
l'acte de son premier mariage, on pourrait espérer y découvrir
un supplément d'information. Mais comment faire pour échapper
au fatal silence de nos sources ?
Puisque les remariages succèdent souvent de manière
très rapprochée aux obsèques (après
un délai de viduité n'excédant pas trois
ou quatre semaines, parfois), nous irons rechercher dans les sépultures
de l'année le nom des hommes adultes mariés décédés
à Kaniew, puis nous verrons ceux qui, parmi eux, avaient
une Marianne pour femme ... Procédé évidemment
fastidieux, vu la grande popularité de ce prénom,
mais Kaniew n'est quand même pas si peuplé: vérifions
donc!
Verdict négatif , même en élargissant la
consultation à plusieurs années antérieures.
Allons nous appliquer le procédé à toute
la paroisse de Kozmin (où le mariage de 1777 a été
célébré, comme on sait, et non à Wielowies,
et en supposant que le premier époux de Marianne y serait
décédé) ? Le projet, vertigineux, serait
vain : les prétendants de Marianne se bousculeraient et
notre choix serait entaché d'arbitraire !
Adoptons, de préférence, un nouvel angle d'attaque.
Laissons-nous guider par ... Valentin KANIEWSKI en personne.
A Kozmin, de 1750 à 1792 (seule période du XVIII-ème
pour laquelle le registre des mariages ait été conservé),
Valentin n'est venu jouer le rôle de témoin qu'à
trois reprises : en 1778, il est là pour son beau-frère
Jean MACIEJEWSKI, qui épouse une jeune fille native de
Zwiernik, Catherine PATERKOWNA ; en 1774, il seconde un Stéphane
SOLTYSIAK de Kaniew, qui fait bénir son union devant Dieu
avec une veuve de Czarny Sad, Marianne PRACOWITA, et en qui il
n'est vraiment pas difficile de reconnaître un frère,
né comme lui des premières noces de Pierre SOLTYS
(on s'en persuade d'autant mieux qu'un fils de Valentin a été
prénommé Stéphane, justement) ; et, en 1777,
c'est Marianne notre veuve anonyme et Simon que notre Valentin
vient honorer de sa présence: l'idée d'une parenté
proche s'impose naturellement.
On aura observé, bien sûr, que Marianne est aussi
le prénom de celle qui, par son mariage avec Stéphane,
est devenue la belle-soeur du soltys de Kaniew : or, ce couple
à peine constitué disparaît du champ d'observation,
aucune naissance ne venant trahir son passage ici ou là.
Cette disparition est susceptible a priori d'explications diverses
... mais celle que nous serions tenté de retenir, c'est
évidemment celle du décès prématuré
de Stéphane. Abîmons-nous à nouveau dans la
consultation des sépultures, dans une fourchette 1774?1777,
paroisse de Wielowies d'abord, puis paroisse de Kozmin : oui,
le 30 juillet 1775, il y a effectivement mention de la mort, à
l'âge de 30 ans, d'un Stéphane de Czarny Sad. Anonyme
sans doute, ce Stéphane, du moins hors contexte, mais désormais
d'une identité aveuglante !
Voilà donc notre Marianne " de Kaniew " assimilée
à Marianne " de Czamy Sad " (notons la proximité
des deux localités), mais de nouveau, privée de
mari, quoique pourvue d'un excellent, mais temporaire beau?frère.
Il nous faut maintenant nous enquérir d'un troisième
acte de mariage, et auparavant, par la force des choses, passer
sur le cadavre d'un préalable époux. Mais ne boudons
pas ... notre plaisir, nous bénéficions ici d'un
luxe insoupçonné : un nom " de famille ".
Sans effort, Marianne PRACOWITA nous mène à un Gaspar
PRACOWITY, disparu comme Stéphane à 30 ans, le 7
janvier 1773, à Wykowy.
Pracowity est un adjectif, dont le sens correspond exactement
au latin " laboriosus ", travailleur. C'est l'un des
termes polonais qui servent à distinguer officiellement
les ordres de la société ; il se différencie
du " slawetny " (famatus) des bourgeois et de l' "
urodzony " (generosus) des nobles. Une majorité de
la population du district de Kozmin est bien entendu constituée
de tels laboriosi / pracowici. Mais dans le cas du nom propre
PRACOWITY, on a affaire à un sobriquet porteur d'une allusion
morale ou d'un sens social : il a pu s'appliquer à l'origine
à une personne " aimant à travailler ",
à un " hyperactif " en somme ; ou encore, à
quelqu'un " ayant beaucoup (de terres) à travailler
", autrement dit à un riche paysan.
Dans la paroisse de Kozmin, le nom PRACOWITY est très
discret . Gaspar lui-même n'a eu aucune postérité
. Il a été possible de retrouver son acte de baptême,
le 1er janvier 1740 : il est le fils des " famati "
François et Marianne PRACOWITY . Mais à son mariage,
daté du 20 janvier 1772 et célébré
à Kozmin, l'anonymat reprend ses droits et nous frustre
des renseignements escomptés sur Marianne : Gaspar est
présenté comme valet de ferme (famulus), et Marianne
comme servante (ancilla). Tous deux sont alors domiciliés
à Orla.
En quelques années de 1772 à 1777, Marianne a migré
d'Orla à Cegielnia en passant par Wykowy, Czarny Sad et
Kaniew : l'instabilité, même dans un mouchoir de
poche, est évidente et n'est pas vraiment faite pour nous
aider à ressusciter son identité première.
Et l'horizon s'élargit encore à d'autres localités
si l'on regarde la provenance des témoins de mariage autres
que Valentin KANIEWSKI : défilent sous nos yeux, en 1772
d'abord, Michel ORPEL, scultetus de Budy (saluons le frère
aîné de notre ancêtre direct à la huitième
génération, Jacques) accompagné de Jean JAJOR
forestier de Mogielnica (qui sera aussi parrain de Thècle
en 1780), puis en 1774 Bonaventure DOBROGOST, de Czarny Sad, mais
antérieurement de Kaniew et originaire de Walków,
et enfin en 1777, Sébastien inquilinus de Orla. L'un ou
l'autre a sans doute quelque titre à se dire parent de
Marianne, ou de l'un de ses conjoints successifs, Gaspar, Stéphane
et Simon. Mais en l'état de notre documentation, l'opacité
de ces liens de parenté et l'anonymat de Marianne demeurent
entiers.
Un inventaire du domaine de Kozmin, réalisé en
1773 à la demande de ses propriétaires (Elisabeth
née BRANICKA et son fils Casimir SAPIEHA), peut aider en
revanche à dévoiler la logique des changements réitérés
de domicile que nous avons constatés. Dans les conditions
économiques et techniques de l'époque, l'immense
domaine ne pouvait évidemment fonctionner à la façon
d'un moderne sovkhoze, et l'inventaire indique que les terres
de la réserve seigneuriale se trouvaient fractionnées
en cinq unités d'exploitation ou " folwarki ".
La mise en valeur de chaque folwark (praedium) ne reposait que
partiellement sur les corvées dues par les paysans dépendants
(les " kmiecie ", cmetones), ces serfs qui cultivaient
en même temps la terre de la tenure héréditaire
qui leur était concédée en contrepartie.
Le folwark ne pouvait se passer d'une abondante main d'oeuvre
d'ouvriers laboureurs (" rataje ", coloni), de valets
(" parobcy ", famuli), de palefreniers (" fornale
", aurigae), de servantes (" sluzace, dziewki ",
ancillae) : ces salariés étaient généralement
prélevés dans les villages des environs, chez les
enfants de paysans avec ou sans terre. Au bout de quelques années
de service, l'heure venait de se fixer, le plus souvent ailleurs
que dans le village centre du folwark, et selon le cas, l'ancien
famulus aulicus entamait une vie d'inquilinus ou de cmeto, voire
de scultetus.
Les cinq folwarki du domaine de Kozmin étaient basés
à Obra, à Lipowiec (dont relevaient Walków
et Borzencice), à Czarny Sad (incluant Kaniew), à
Wykowy (dont Budy), et enfin à Orla (auquel Galew, Olendry
et Cegielnia étaient subordonnés). Il faut noter
aussi que d'après les registres paroissiaux, Cegielnia,
qualifié de praedium a dû comporter la présence
d'une ferme domaniale, ou peut?être seulement de bâtiments
annexes du folwark de Orla.
Ainsi s'éclaire le parcours de notre Marianne au départ
anonyme servante de Orla : elle bouge manifestement d'un folwark
à l' autre, bousculée par ses veuvages et remariages
certes, mais déplacée sans doute également
en fonction des besoins en main d'oeuvre.
La grand?mère maternelle de Rosalie GRODZICKA sera donc
définie simplement comme une certaine Marianne, une "
travailleuse " dont la mobilité resta circonscrite
à l'intérieur de trois folwarki de Kozmin et qui
fut -peut-être -originaire de Kaniew.
Marianne, même réduite à l'épaisseur
d'un prénom, a su nous entraîner sur une piste qui,
toute pétrie d'amertume et d'anonymat qu'elle fût,
a contribué à jeter d'utiles lueurs sur notre passé
familial : à ce titre, elle mérite de figurer en
bonne place et avec les honneurs sur notre arbre généalogique
!
Vous aviez dit : casse-tête ? Que d'exagération !
Il suffisait de quelques recherches pour que, tout mystère
cessant, votre Rosalie se rende à merci !
Ecrivez, d'une plume légère et en toute décontraction,
écrivez donc les noms de ses ancêtres paternels :
Rosalie GRODZICKA, mais c'est bien sûr l'héritière
de Pierre PACIOREK, lui-même fils de Valentin KANIEWSKI
qui fut engendré par Pierre SOLTYS !
Et sur le même mode de transparence biblique, déclinez-nous
les noms de ses parents du côté de la maternelle
quenouille : Rosalie, bon sang, mais n'est-ce pas la fille de
Marcianne SZYIA, laquelle se trouve être, vous le savez
bien, la propre soeur germaine de Jean NOWAK et de Woïtek
SZYMCZAK, et de laquelle le père n'est autre que ce Simon
de Cegielnia, un peu STRYI, un temps DYMELCZAK, un rien beau-frère,
par Marianne sa femme, de Valentin KANIEWSKI ?
Après quoi, s'il vous plaît, s'il-vous-plaît!
!, ne nous parlez plus de noms de famille!
Mais puisque désormais tout est clair, racontez-nous,
plutôt, l'histoire de votre Rosalie GRODZICKA. Vous pourriez
commencer comme suit:
" Lorsqu'il épousa, en secondes noces, Rosalie GRODZICKA,
le lundi 18 mai 1840, André RZEPKA alias ORPEL se doutait-il
que la mariée apportait en dot ... un beau casse-tête
généalogique ? ".
Documents :
Rosalie
Maciejewski
Szoltys
Vue d'ensemble
Grodzicka
Mouvement
naturel en Posnanie ( 1806 - 1914 )
Le Grand-Duché
de Posnan ( 1815 - 1918 )
Généalogie
Orpel
Base
généalogique de Beskid
OrpelCh@aol.com