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Pourquoi j'aime la Pologne
Dans laquelle un supposé déserteur ukrainien nous flanque la frousse.

 

Nous sommes toujours en 1991 à la semaine Sainte. Mardi, jour de marché à Sucha Beskidka. Nous nous y rendons en compagnie de Maria afin qu'elle nous serve de guide et en vue de discuter certains prix pour nous, l'accent de ma compagne trahissant encore quelque peu sa provenance d'un pays étranger, même si elle parle quasi couramment le polonais.
Nous flânions donc tous les trois sur le marché lorsque Maria se fait accoster par un jeune homme de bonne présentation, du moins, au premier abord. Croyant qu'elle parlait avec une connaissance, nous la laissons à sa discussion pour avancer quelque peu, ne voulant pas être indiscrets. Elle nous rejoint peu après et nous narre sa rencontre. Il s'agissait en fait d'un jeune homme d'origine ukrainienne, qui ayant (selon lui) accompli son terme de service militaire voulait chercher fortune sous d'autres cieux. C'est ainsi qu'il s'était retrouvé en Pologne, pays voisin et frère où il était certain de trouver du travail et un logement convenable. C'était du moins ce à quoi il disait aspirer. Elle clôture son récit en précisant : " nous en saurons plus ce soir, car vu qu'il cherchait un logement, je l'ai invité à la maison pour y passer la nuit. " Nous lui faisons bien un petite remarque sur le risque d'inviter ainsi chez soi des étrangers, mais comme elle a l'air sûre de son fait, nous en restons là. La journée se déroule normalement et nous nous retrouvons donc, toute la famille de nos hôtes et nous, réunis autour de la table familiale, éternisant comme d'habitude le repas du soir.
L'heure passe et toujours aucune nouvelle de l'Ukrainien. Peut-être a t'il trouvé au dernier moment, un logement plus proche, car Sucha se trouve tout de même à plus ou moins 20 km de Zawoja. Mais, que non nenni, vers 22 :OO heures, on sonne ! Silence absolu dans la maison. Serait-ce LUI ? Maria hésite avant de se lever pour aller ouvrir. Nouveau coup de sonnette, cette fois elle y va, et revient avec ce jeune homme, véritable athlète, taillé comme une armoire normande, qui s'excuse de l'heure tardive, mais le taxi ( ?) ne trouvait pas la maison. L'hospitalité polonaise étant ce qu'elle est, le couvert est mis et c'est d'un solide appétit qu'il dévore tout ce qui lui est présenté. Il faut dire que dans une carcasse pareille il y a de place. Adam sort ensuite une bouteille de vodka et un chassé croisé de questions commencent.
Le nouvel arrivé, dont j'ai oublié le nom, nous raconte une histoire digne de Zola, obligé au travail dès sa plus tendre enfance pour nourrir sa famille. Il a décidé de mettre un point final à cette vie misérable, en s'échappant de l'armée alors qu'il était cantonné aux abords de la frontière polonaise. Il cherche, toujours selon lui, du travail mais n'a rien trouvé d'intéressant jusque maintenant. Pour survivre il aide l'un ou l'autre de ses compatriotes (relativement nombreux) qui font les marchés en Pologne et c'est ainsi qu'il aurait atterri à Sucha. Nous lui faisons remarquer qu'il vient de nous dire qu'il s'était échappé de l'armée Russo-Ukrainienne, alors que sur le marché il avait dit à Maria qu'il était démobilisé. Il s'embrouille en essayant de nous expliquer que son Polonais étant basique il lui arrivait de confondre des mots. Nous lui posons alors diverses questions sur la vie en Ukraine. Nous savions déjà qu'elle était encore plus misérable qu'en Pologne, vu l'afflux des Ukrainiens vers la Pologne et l'Allemagne. Afin de donner plus de poignant à son récit, il nous raconte qu'il lui était impossible de s'acheter des choses de premières nécessités, telles des chaussures SALAMANDER (pour la petite histoire, moi non plus je ne me paye pas des chaussures de ce prix), que les polos LACOSTE étaient soit introuvables soit hors de prix, que les vêtements de sport ADIDAS, CHEVIGNON ou autres grandes marques étaient également hors de prix. Le plus comique dans l'histoire c'était la tête des nos hôtes. Pour eux toutes ces marques étaient parfaitement inconnues et leur achat ne représentait pas, du moins à leur yeux, un but en soi dans la vie. Arrive l'heure du dodo. Maria lui donne la chambre de la plus jeune des filles, elle dormira avec ses parents pour cette nuit.
Pendant que l'Ukrainien déballe ses affaires dans la chambre voisine, nous prenons Maria en aparté pour lui faire part de nos craintes et lui expliquer pourquoi nous emmenons dans notre chambre, contrairement à notre habitude, appareil photo, caméras et sacs en vue de les garder en sécurité. Les explications et l'allure du gaillard n'étant pas pour inspirer confiance. De plus, contrairement à nos habitudes nous fermons la porte de notre chambre à clef. La nuit se passe sans problème et le matin nous nous retrouvons tous au petit déjeuner. C'est ici que l'Ukrainien place sa seconde banderille. Il demande en effet à Maria l'autorisation de rester quelques jours de plus car il est pratiquement certain de trouver du travail dans la région. Chose quasi impossible selon nos hôtes. C'est en rougissant, car pas habituée au mensonge, que Maria lui explique maladroitement qu'elle va recevoir de la famille et qu'elle ne possède plus de chambre, elle lui refuse également de dormir dans l'étable, car cela ne se fait pas chez elle.

Je suis certain qu'elle se souviendra longtemps de sa nuit blanche, passée assise dans les escaliers afin de surveiller l'ukrainien. Sa petite mine du lendemain nous fait pitié et nous regrettons tout de même quelque peu d'avoir douté et fait douter nos hôtes de ce garçon, qui dans le fond était peut être bien tout à fait honnête.
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(à suivre…)
Jean-Marie Van Hoorne

 



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