Parlant
de la Pologne avec Jacques, un collègue de travail d'origine polonaise,
il me demande " écris-tu toujours dans la Gazet qui parle de la
Pologne ", je réponds " oui pourquoi ? ". J'ai un sujet qui peut
t'intéresser me lance- t-il, l'histoire de mon papa qui à vécu la
guerre. Après un bref résumé de la vie de son père, je lui promets
de faire mon possible. Quelques semaines plus tard je prenais rendez-vous
près de Stanislaw Trybus habitant Dison, un petit village de l'Est
de la Belgique.
Stanislaw est né à Libiaz en Pologne le 20.04.1917, il est le fils
de Piotr Trybus et de Kataryna Ptasinska. Il a trois frères, Roman,
Wladyslaw, Marian, et une sœur Genowefa.
Son papa était mineur inscrit au parti Socialiste et travaillait
à la mine de " Janina " à Libiaz. Il quitta la Pologne en 1922 pour
travailler en France dans la région de Blaye pour enfin se retrouver
dans les charbonnages du nord à Fenain région de Douai. Là le papa
de Stanislaw eut quelques déboires politiques et dut quitter la
France. Il chercha du travail en Belgique, n'en trouva pas ; il
décida alors de regagner la Pologne.
Stanislaw fréquenta 7 ans l'école moyenne, ensuite 3ans d'école
technique où il obtint son diplôme de menuisier. Il se mit à son
compte mais malheureusement l'argent ne rentrait pas et pourtant
du travail il y en avait. Il s'engagea alors chez les YUNAK (jeunes
soldats polonais), " on logeait dans des baraques " dit-il. Notre
travail consistait à fortifier les rives de la Vistule, chaque travailleur
devait transporter en haut de la rive 40 brouettées avant midi,
puis ce fût 50. J'ai alors organisé une grève afin de montrer notre
mécontentement. Le lendemain on m'interdisait de travailler, j'étais
renvoyé.
Malgré l'avis négatif de son papa, il s' inscrit comme manœuvre
à la mine de Janina où il travailla trois mois à dater du 27.07.1936.
Stanislaw s'engagea volontairement dans l'armée en Pologne et fut
incorporé dans le 2e régiment d'aviation :121e escadre de chasse
de Cracovie. Son service au sein de l'armée commença le 02.11.1936,
jusqu'au 02.11.1938.
Il fut mobilisé le 02.09.1939 dans le même régiment. Pendant la
guerre nous allions de camp d'aviation en camp d'aviation jusqu'à
Kolomeya, ensuite Sniatyn où nous avons reçu l'ordre de franchir
la frontière Roumaine le 19.09.1939.
On nous interna à Craiova, le camp était vétuste, nous fûmes mutés
par la suite tout près de Pitesti. Il régnait une confusion totale,
dès lors j'en ai profité pour m'évader et direction Bucarest et
me réfugier à l'ambassade Française. C'est là qu'on m'a fourni de
faux papiers pour rejoindre la ville de Constance au début décembre.
Embarqué à bord d'un bateau Roumain direction Istanbul, puis Athènes,
la Crête, Alexandrie, pour atteindre Beyrouth, alors colonie française.
L'embarquement qui suivra se fera sur un bateau français en compagnie
de militaires, direction la Tunisie.
Après avoir été débarqués à Marseille avec mes camarades de l'aviation
polonaise nous sommes envoyés en casernement à Lyon-Bron le 16.01.1940.
Début mai de la même année je fus muté ainsi que quelques camarades
dans la 2e division de chasseurs à pied du parc d'artillerie. Nous
sommes partis au front le 30.05.1940 : la ligne Maginot, Colombey-les-Belles,
Sarrebruk, Belfort, Saint-Hippolyte, Maîche, Brémoncourt, Goumois
ou nous avons combattu en dernier lieu.
C'est le 19.06.1940 que nous recevons du Général Daille l'ordre
de franchir la frontière Suisse.
Nous avons alors été dirigés vers Délemont et c'est là que je fut
interné pour la deuxième fois.
La route vers la Pologne s'allongeait plutôt que de se raccourcir.
La troupe à été divisée dans plusieurs camps, notre compagnie s'est
retrouvée à Ursenbach, Apffeltragen, Büren, St-Blaise, Linières
etc….
Stanislaw tient à rappeler qu'entre les camps d'internement Suisse
et Roumain c'était le jour et la nuit. En Roumanie nous avons connu
la faim, les maladies, tandis qu'ici en Suisse nous avons reçu un
accueil plus que chaleureux et nous mangions à notre faim.
Avant l'aménagement des baraquements, on nous avaient logé dans
les écoles et les salles des fêtes. Dans les deux cas nous y étions
bien. Afin de nous occuper l'esprit nous accomplissions des travaux
aussi bien pour notre bien-être que pour celui de la population
Suisse, mais cette vie la n'était pas faite pour moi et je me suis
sauvé de Linières (mon dernier camp) en direction de la France vers
Pontarlier et Grenoble où j'ai été démobilisé le 16.01.1945.
Après ma démobilisation, je me suis engagé chez les Américains où
je fus affecté aux convois d'approvisionnement des troupes américaines
qui se battaient sur le front en Belgique et cela jusqu'au 20.11.1945.
Le 27.11.1945, je me réengageais dans la compagnie Polonaise de
l'armée Américaine :USArmy à Chièvres. Le 16.03.1946. j'ai demandé
à cesser volontairement toutes activités au sein de l'armée.
Voilà comment se termina ma carrière militaire ainsi que le combat
pour la liberté de notre pays et celui du monde entier.
Je languissais de rentrer en Pologne , ainsi que d'autres compagnons,
mais le destin s'est joué de nous. ….
Sur mon chemin j'ai croisé une jeune fille, qui plus tard deviendra
mon épouse.
Nous avons fondé une famille , j'ai deux enfants Jacques et Nadia
, et quatre petits enfants. Jusqu'à ce jour je vis toujours en Belgique,
et malgré cela je reste dévoué à ma patrie la Pologne.
Cette année dans le courant du mois de juin dans le village de Saignelégier
et en septembre dans celui de Büren dans le Jura Suisse une commémoration
a été célébrée pour le 60e anniversaire de l'arrivée des soldats
polonais qui se sont battu pour la liberté de l'Europe et Stanislaw
Trybus était à l'honneur. A cette occasion Stanislaw avait préparé
un petit discours :
" Monsieur le Maire, Chers Camarades anciens combattants et vétérans,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Puis-je vous dire combien je suis ému de me retrouver ici et
de me remémorer une fois de plus les événements que vous commémorez
et auxquels je vous remercie très sincèrement de m'associer.
Je suis très sensible à votre attention et croyez bien que je ne
l'oublierai pas.
J'habite une commune de l'Est de la Belgique qui a aussi souffert
des affres de la guerre et qui perpétue régulièrement le souvenir
de toute celles et de tous ceux qui ont souffert ou donné leur vie
pour notre liberté, il y a plus d'un demi siècle à présent.
Comme citoyen polonais, je souffrais douloureusement du drame que
vivait mon pays et comme tant de jeunes de l'époque, j'ai voulu
me joindre à ceux qui refusaient l'humiliation, l'oppression et
la haine. Je suis sûr que devant une telle situation, aujourd'hui
les jeunes agiraient aussi comme leurs aînés d'il y a 60 ans.
J'ai confiance dans la jeunesse de nos pays, comme dans l'Europe
unie. Vive la liberté et surtout la fraternité entre les peuples
" Et de terminer par ces quelques mots qui en disent long : "C'est
en luttant qu'on est libre."
Quant au consul de l'ambassade de Pologne à Berne, Wojciech
Miazgowski, il a dit sa reconnaissance à la Suisse et son espoir
de voir maintenant son pays se mettre au diapason de l'Europe, je
le cite :" car il est important de savoir dépasser l'héritage de
l'histoire ".
L'après guerre.
La jeune fille que Stanislaw à rencontré était Belge et c'est tout
naturellement qu'il s'installa en Belgique après la guerre. C'est
dans la région de Boussu, Elouge, Ornu qu'il travailla onze années
à la mine. Il quittera les charbonnages par suite de maladie et
s'installera un peu plus tard à Dison, là ou il vit toujours. Son
chemin ne s'arrêtera pas là, en 1962 il trouvera un travail dans
le tourisme. Stanislaw servait d'interprète et de guide à une firme
d'autocars qui avait entre autres la Pologne comme destination.
Il fût mis définitivement au repos (façon de parler, car il est
toujours alerte et actif )en 1982.
Dzienkuje bardzo Pan Trybus.
Marc Toussaint.