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Le système politique polonais

LA POLOGNE : UN REGIME PARLEMENTAIRE OU SEMI-PRESIDENTIEL ?

Le 1er mai 2004 marquera définitivement « la réconciliation entre l’Histoire et la Géographie » de l’Europe pour reprendre les termes du célèbre historien polonais Bronislaw Geremek. En effet, dix nouveaux pays rejoindront alors les Quinze au sein de l’Union Européenne : la République Tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie, les pays baltes, Malte, Chypre mais également le plus grand Etat d’Europe Centrale et Orientale, en l’occurrence la Pologne. En effet, les Polonais ont décidé de tourner définitivement la page de la sombre période communiste en se prononçant à une très large majorité par référendum en juin 2003 en faveur de l’adhésion au Marché Unique.

Jusqu’au printemps 1989 et la tenue de la fameuse « Table Ronde polonaise » qui marqua la fin de l’hégémonie du Parti Communiste dans le pays, la Pologne était, à l’image de la quasi-totalité des Etats d’Europe de l’Est, une « démocratie populaire » sous la tutelle directe de Moscou. L’insurrection de Poznan en 1956 puis celle de Gdansk en 1970 avaient révélé le profond désaccord de la population vis-à-vis du régime qui leur avait été imposé par les Soviétiques depuis 1947. Il fallut pourtant attendre la fin des années 1980, marquée par l’action de Jean-Paul II, par les succès du syndicat Solidarnosc en Pologne ainsi que par la Perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev, pour voir enfin émerger une vraie démocratie dans le pays. Cette liberté retrouvée fut notamment symbolisée par l’accession au pouvoir en décembre 1990 de la figure mythique du mouvement protestataire polonais, Lech Walesa.

Suite à la chute du Mur de Berlin, on décida à Varsovie de mettre sur pied une nouvelle Constitution. A l’époque, le débat concernait dans une large mesure le degré de recours aux institutions françaises. En effet, le semi-présidentialisme à la française paraissait généralement comme une solution tout à fait heureuse pour le pays. D’où l’approbation générale de la réintroduction de l’élection au suffrage universel direct du Président de la République. Il est par ailleurs notable que la « Petite Constitution » lui conférait un tel pouvoir que certains n’hésitaient pas à parler de « Monarchie Républicaine ». Concept inventé par Maurice Duverger, le semi-présidentialisme désigne des régimes dans lesquels "le président de la République est élu au suffrage universel direct, dispose de pouvoirs propres mais qui a en face de lui un Premier ministre et des ministres qui possèdent l’essentiel du pouvoir exécutif et gouvernemental, et qui ne peuvent rester en fonction que si le Parlement ne leur manifeste pas sa défiance". En 1997 fut créé un nouveau texte constitutionnel. Approuvée par référendum, la réalisation de celle-ci avait confronté les juristes polonais à un réel dilemme : il fallait d’un côté éviter une instabilité parlementaire causée par une pléthore des partis politiques, et de l’autre, écarter tout risque de dérive des prérogatives présidentielles qui aurait inévitablement mené à un retour d’un pouvoir dictatorial. Par conséquent, les pouvoirs du Président furent diminués notamment vis-à-vis du Gouvernement, ce qui contribua à amoindrir les problèmes de cohabitation.

Comment peut-on qualifier le régime polonais aujourd’hui ? Certains affirment qu’il serait devenu parlementaire… Un tel régime se caractérise par la présence d’un bicéphalisme de l’exécutif avec un chef de l’Etat non élu au suffrage universel direct et un chef de gouvernement issu de la majorité parlementaire. Par ailleurs, on y trouve un bicaméralisme égalitaire et une collaboration des pouvoirs avec des moyens d’empêchement réciproques (dissolution de l’Assemblée et responsabilité ministérielle solidaire). Au vue des définitions du parlementarisme et du semi-présidentiel, peut-on encore affirmer que le régime polonais soit semi-présidentiel ? Il semblerait que cela soit le cas, d’autant plus que la Constitution de 1997 donne au pouvoir législatif des pouvoirs forts avec des moyens d’action sur le gouvernement (I), tout en assurant une large marge de manœuvre au pouvoir exécutif, notamment au Premier Ministre (II).

I°) UN POUVOIR LEGISLATIF INVESTI DE POUVOIRS RELATIVEMENT FORTS

Selon la Constitution de 1997 qui est le « droit suprême de la République de Pologne » (Article 8), le Parlement polonais est bicaméral. Il est composé d’une Diète (Sejm en polonais) et d’un Sénat qui exercent conjointement le pouvoir législatif. Les députés sont élus pour quatre ans au Suffrage Universel Direct à la proportionnelle, de même que les Sénateurs (article 96 et 97). Comment s’organise-t-il et de quelle façon a-t-il une prédominance dans le système institutionnel polonais ?

1°) Une prédominance de la Diète dans le cadre d’un bicéphalisme inégalitaire

• La Diète et le Sénat exercent conjointement le pouvoir législatif, avec néanmoins une prédominance de la part de la première chambre: on observe ainsi en Pologne un bicamérisme déséquilibré au profit de la Diète.
il n’y a pas de bicaméralisme égalitaire, qui est l’une des caractéristiques des régimes parlementaires.

• La Diète peut mettre fin à sa propre législature, en vertu d’une résolution votée à la majorité des 2/3. Par conséquent, le Sénat se voit dans l’obligation d’abréger sa propre législature. Par ailleurs, le Président de la République peut d’après la Constitution prononcer l’abrégement de la législature de la Diète, mais seulement sur avis du Président de cette chambre et du Président du Sénat. Dans ce cas, le Sénat se voit également obligé de raccourcir sa législature.
La Diète apparaît ainsi comme la chambre la plus importante du pouvoir législatif, sans qui le Sénat n’a pas de raison d’être.
Dans la réalité, cette autodissolution de la part de la Diète n’a jamais eu lieu.

• Les lois sont tout d’abord votées à la Diète à la majorité simple des voix. Ensuite, le projet est transmis au Sénat, qui l’adopte. Dans le cas contraire, la Diète peut repousser la résolution du Sénat par laquelle il repousse la loi, si le vote est accepté par la majorité absolue des voix. Dans ce cas, le projet est considéré comme adopté (article 121).
La Diète votent toujours AVANT le Sénat, et sa position est le plus souvent celle qui prime. En effet, son rôle est prédominant par rapport à celui du Sénat.

• Certes, d’après l’article 89, une éventuelle loi autorisant la ratification d’un traité doit être adoptée conjointement par la Diète ainsi que par le Sénat, avec dans les deux cas non seulement la majorité des deux tiers des voix, mais également la présence de plus de la moitié des parlementaires. MAIS, il faut noter que cette ratification peut également faire l’objet d’un référendum. Dans ce cas, seule la Diète est à même de pouvoir adopter une résolution relative au choix de la procédure d’autorisation à la ratification, à la majorité absolue des voix. Par ailleurs, il faut qu’au moins 230 des 460 députés aient participé à ce vote (article 90).
ce fut le cas en juin 2003, avec l’organisation du référendum concernant l’adhésion de la Pologne à l’UE (77% de « oui »).

On voit ainsi que le rôle de la Diète est nettement prédominant par rapport à celui du Sénat, ce qui n’est pas le cas dans un « vrai » régime parlementaire.

2°) Les moyens d’action et de contrôle du Parlement sur le pouvoir exécutif

• Selon l’article 95 de la Constitution, la Diète exerce le contrôle des activités du Conseil des Ministres dont l’étendue est définie par la Constitution.

• Le Premier Ministre ainsi que son gouvernement sont obligés de répondre aux questions portant sur les affaires courantes à chaque séance de la Diète (Article 115).

• La Diète peut d’ailleurs voter une motion de censure à l’égard du Conseil des Ministres ou d’un seul ministre à la majorité absolue en cas de désaccord. Elle donne alors le nom du prochain Président du Conseil au président de la République qui se doit de le nommer.

• Le régime polonais est moniste : le gouvernement n’est responsable que devant la Diète.
la responsabilité collective du gouvernement devant le Parlement est l’une des caractéristiques du semi-présidentialisme.

• Toujours en ce qui concerne la Diète, celle-ci a également un rôle majeur lors de la proclamation de l’état de guerre et de la conclusion de la paix. C’est elle qui décide au nom de la Nation de l’attitude à adopter en cas de conflit (article 116). C’est seulement dans le cas ou la Diète ne peut se réunir que revient au Président de la République la décision de proclamer ou pas l’état de guerre.
ceci permet d’éviter des abus de pouvoir de la part du Président, comme ce fut le cas en 1981 par exemple, lorsque le Général Wojciech Jaruzelski décréta l’état de guerre («Stan Wojenny » en polonais) de manière arbitraire.

• Dans les 14 jours suivant sa nomination, le Premier Ministre doit présenter le programme de l’activité de son Conseil qu’il a nommé devant la Diète et pose alors la question de confiance, qui doit être approuvée à la majorité absolue. Si elle est rejetée, alors la Diète propose au Président un candidat. Si à ce moment là on n’arrive toujours pas à élire le Premier Ministre, c’est alors au Président de la République qui le nomme et qui le propose à nouveau devant la Diète. Si le vote de confiance n’arrive pas à être voté à la majorité, le président abrège la législature de la Diète et ordonne les élections.
on remarque que la Constitution stipule « abrège la législature », mais pas « dissout » la Diète : cette nuance s’explique par le fait que les Polonais ont encore peur d’un retour d’un régime dictatorial dans leur pays. Le terme de « dissolution » rappelle en effet l’époque communiste…

II°) UN EXECUTIF BICEPHALE CERTES ASSUJETI AU LEGISLATIF, MAIS REEL

La Constitution polonaise de 1997 institue un bicéphalisme de l’exécutif, avec un Président qui est le Chef de l’Etat polonais et un Premier Ministre qui est à la tête du Conseil des Ministres.

1°) Le Conseil des Ministres : le réel détenteur du pouvoir exécutif

• Selon l’article 146, le Conseil des Ministres conduit la politique intérieure de la Pologne.
le rôle du Premier Ministre est proche de celui de son homologue français : on voit bien une certaine influence de la part du constitutionnalisme français.

• Le Premier Ministre conduit également la politique étrangère du pays.
C’est par exemple le Premier ministre qui a participé aux négociations à Bruxelles sur la ratification du projet constitutionnel européen, ou encore à celles concernant l’achat, oh combien controversé, des F-16 américains pour l’armée polonaise.

• Le Conseil des Ministres dirige ainsi l’administration gouvernementale avec une certaine indépendance par rapport au Président de la République : le Conseil définit seul l’organisation et la procédure de ses propres travaux. Les grands désaccords survenus entre Lech Walesa et le gouvernement social-démocrate dans les années 1993-1995 ont montré l’utilité de laisser un plus grand champ d’action pour le Premier Ministre afin de mener à bien sa politique gouvernementale. D’où l’absence de domaine propre au Président au sein du gouvernement polonais.
Ce point de la constitution est la cause d’un constant désaccord entre le Président Aleksander Kwasniewski et Leszek Miller qui tourne a l’avantage de ce dernier.

• Le Premier ministre exerce en outre la surveillance des collectivités territoriales et a la fonction de « supérieur hiérarchique » de tous les fonctionnaires de l’administration gouvernementale et civile. Il domine également une grande partie de la politique nationale par les pouvoirs qui lui sont attribué au Conseil des Ministres. Celui-ci exerce ses pouvoirs dans toute une série de domaine, définies par la Constitution. Il assure notamment l’exécution des lois, le contrôle le budget de l’Etat et assure la sécurité à l’intérieur et à l’extérieur de l’Etat.

• Le Premier Ministre concurrence également le rôle du Président de la République dans le domaine des affaires étrangères, conclut les traités signés avec les organisations internationales et exerce la direction générale dans le domaine de la défense.
le traité de Thessalonique l’année dernière a été signé non pas par le Président, mais par Miller et son ministre des Affaires Etrangères, Wlodzimierz Cimoszewicz.

• En pratique, le vote de confiance peut être utilisé en cours de mandat du Premier ministres afin d’avoir une nouvelle légitimité.
C’est ainsi que trois jours après le grand succès du référendum sur l’élargissement que Leszek Miller a organisé un vote de confiance devant la Diète. Ce pari fut finalement réussi.

2°) Un Président « qui règne, mais qui ne gouverne pas »

• Le Président de la République polonaise est élu pour 5 ans au suffrage universel direct. Son mandat est renouvelable qu’une seule fois.
Alexander Kwasniewski est actuellement le troisième Président de la IIIe République de Pologne (après Jaruzelski et Walesa). Il a été élu en 1995, puis réélu au premier tour en 2000, avec près de 57% des suffrages.
L’élection au suffrage universel direct confirme l’idée que le régime polonais est bien semi-présidentiel, et non parlementaire.

• Le Président polonais dispose d’un certain nombre de pouvoirs propres selon la Constitution. Il ne gouverne certes pas, mais il a un rôle d’arbitre important pour la stabilité du système.
il a le même rôle que ses homologues irlandais et portugais. Dans ces deux Etats, le caractère semi-présidentiel du régime selon la définition généralement admise fait l’unanimité.

• En tant que représentant de l’Etat dans le domaine des relations étrangères, c’est au Président que revient la charge de ratifier et de dénoncer les traités internationaux ainsi de nommer ou de révoquer les représentants du pays à l’étranger et auprès des organisations nationales. Il se doit d’en informer au préalable la Diète et le Sénat.

• Bien que le Président soit le chef des forces armées selon la Constitution (Article 134), ce n’est qu’en temps de guerre qu’il nomme sur proposition du Président du Conseil, le commandant en chef des forces armées. En temps de paix, c’est le ministre de la défense qui les nomme.
De cette façon, le général Tyszkiewicz a été nommé à la tête de l’armée polonaise en Irak par le Ministre de la Défense Szmajdzinski.

• En fait, le Président de la République a, avant tout, un rôle officiel. C’est lui qui donne les ordres et les distinctions, il exerce le droit de grâce et attribue la nationalité polonaise et autorise la renonciation à celle-ci.
Ainsi, en 2001, il a permit la naturalisation d’Emmanuel Olisadebe, un Nigérian émigré en Pologne qui joue depuis cette date au sein de la sélection nationale polonaise de football.

• On remarque qu’il y a beaucoup de pouvoirs partagés entre le Président polonais et le gouvernement.
Certes, le Président édicte les actes officiels, mais pour qu’ils soient valables, ils doivent être contresignés par le président du conseil des ministres qui engage alors sa responsabilité devant la Diète.

• On s’aperçoit que le Président ne gouverne pas réellement. Il peut certes selon la Constitution « le Conseil de Cabinet pour délibérer d’affaires d’une importance particulière ». Mais il n’est précisé ni la nature ni « l’importance » de ces affaires. D’autre part, il n’a pas le droit de présenter des amendements à un projet de loi. En revanche c’est à lui de le signer. Mais en réalité cette signature n’est pas un droit mais une obligation lorsque la loi est constitutionnelle. Dans le cas contraire, si cette loi est déclarée inconstitutionnelle par le tribunal constitutionnel, soit il le signe en omettant les dispositions déclarées anticonstitutionnelles, soit il le renvoie à l’Assemblée pour une deuxième lecture. A ce moment là, si le projet est approuvé par les 3/5 des députés, le président est alors contraint de le signer.

• Néanmoins, à l’image du Président français, Aleksander Kwasniewski a un pouvoir qui s’apparente à celui de dissolution de l’Assemblée (conféré I°) 2°) )
S’il juge que la situation politique devient insupportable, il peut demander des élections anticipées : ce sera d’ailleurs le cas en juin prochain…

CONCLUSION :

Finalement, on se rend compte que le Président polonais n’a pas de réel pouvoir dans les institutions polonaise, même s’il est élu au suffrage universel direct. Il a surtout un rôle d’arbitre, afin d’assurer la continuité de l’Etat. Le pouvoir est en réalité donné au Premier ministre et à son Conseil, dépendant du Parlement, qui le plus souvent est acquis à sa cause (même couleur politique). La définition d’un régime semi-présidentiel de Duverger semble donc bien encore s’appliquer au régime polonais, même s’il est indéniable que la Constitution de 1997 a constitué un nouveau pas vers l’établissement d’un régime parlementaire en Pologne. On peut d’ailleurs se demander si avec l’élargissement prochain de l’Union Européenne, le rôle du pouvoir exécutif n’est pas condamné à s’atténuer, pour laisser place au modèle prépondérant qu’on retrouve dans la quasi-totalité des membres de la future Europe des 25, en l’occurrence le parlementarisme…

Adam Zohry





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