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Les blocs de Wenecja.

Tu me comprends, n’est-ce pas ?
Pour quelle raison , chaque fois que l’on fait visiter une ville ou une région doit-on se ruer vers les vestiges, les places centrales, les curiosités, parfois splendides mais toujours rabâchées ? Pourquoi ne pas s’émerveiller de choses vues, ressenties autre part que dans les sentiers fléchés ? Je me souviens que cela m’a paru comme ça, la Pologne au début de notre vie commune. : je me suis senti bien au milieu des endroits ordinaires. Je regardais les lampadaires, les abri-bus, les trottoirs pavés, les bouleaux en plein dans les « cités ». Je me rappelle m’être perdu dans les blocs gris communistes, ceux d’ « alternatiwa cztery ».J’ai beau jeu, aujourd’hui que je connais plus le pays, y compris,donc,ses œuvres d’humour magistrales, de la ramener un peu. Non, il faut retourner aux origines. Je ne culpabilisais pas encore d’admirer ces dortoirs en béton encastrés qui pour beaucoup de polonais n’ont pas dû et ne seront jamais un cadre de vie bien joyeux .Beaucoup doivent s’y sentir enfermés, rêvant de la campagne ou simplement d’une pokoj qui ne serait pas la salle commune de séjour et la chambre des parents en même temps. Je sais bien. Mais j’assume car ce n’est pas le ton « kombinat » des couleurs des cités, ni leur immanquable monotonie apparente que j’admire, mais ce qui affleure en permanence, cette chaleur que je connais si bien, ici. Pourtant, en Pologne, c’est encore une vision d’homogénéisation totale qui te saisit, mêmes blocs, mêmes balançoires, mêmes coins poubelles, de Hel à Cieszyn, de Przemysl à Szczecin. Remarque, dans mon pays natal, cela fait presque aussi longtemps qu’on nous a clonés : partout les mêmes immondes tôles « récréatives », les hypermarchés, de Lisbonne à Berlin. Mais ici, je suis presque sûr de ne pas trouver cela « pittoresque » et encore moins lugubre car c’est parce que ces lieux, en apparence sinistres, m’ont révélé les plus incroyables éléments vitaux et troublants que je les apprécie, tu le sais bien.

Vous entrez par le petit centre commercial, l’ancien complexe « towarowy » du quartier, par une grande esplanade herbue à ciel ouvert qui distribue les passants de par et d’autre de la wojska polskiego et son tram, la voie est-ouest de la ville. Il y a un marché tous les jours, tu te souviens ? Les tatars vendent du polyester monté en pantalons made in china à côté des vieux qui vendent les lobos de leur dzialka et le ludwik acheté en gros chez makro. Plus loin, il y a le stade du chemyk à l’enseigne métallurgique, où tu peux voir des canapés, des ceintures, de tout de chez le voisin, d’occasion et toujours cet ambre magique de la proche Baltique, parfois même des oczypki venues de loin,des bieszczady ou des tatry. La vie est dure,les prix sont hauts, les supermarchés guettent,menacent, ils entourent le lieu, mais tu sens la chaleur, même en Janvier.Revenons à la petite entrée de la zone : encore des magasins,la poczta Polska et ses timbres de Malysz, des « zapraszamy » partout, des vieilles dames avec leurs petits enfants, la cukiernia « Sowa » où tu trouves des gâteaux inconnus en France et encore meilleurs et encore plus variés, tu es d’accord là-dessus, je le sais. Tiens, là, le sprzedaz nocna monopolowy plein de ressources locales. Avec Zolek, avec O., avec Anita et Nataszka, combien de fois sommes-nous allés chercher le wino, le piwo de nos gentilles griseries, tardives ? Une boutique photo en sous-sol, sous le sol des blocs, il peut y avoir des coiffeurs, des magasins pour animaux, des tonnes de bocaux de Kompot. Toujours ces bouleaux avec quelques chaînes verts, qui crissent au vent de Mars, qui disparaissent (on ne voit plus les arbres pendant le froid, je l’ai souvent remarqué).quand les neiges de Décembre s’installent. Je ne sais plus qui m’a raconté que le bouleau est un arbre enchanté de légendes polonaises, peut être l’ais-je lu ? .C’est vrai, car même ici, il change de ton, brun puis argent, le cheveu éternellement renaissant. Dans les forêts sauvages de Warmie, il y a ces mêmes couleurs, essences des rêves où tout est possible. Ainsi, ici aussi, même au sein de la ville, cet arbre est toujours en métamorphose mélancolique, affleurant pourtant le béton, il ne perd pas de sa vitalité. Puis tous ces gens qui ont un salut pour l’autochtone que vous accompagnez. Mama E. doit connaître tout son bloc moins les tous derniers, Tata B.sait où sont les bascules les plus confortables pour son petit fils, parmi les six aires de jeu alentour. Cela aussi, c’est étrange, entre chaque bloc, tu as un espace de gazon sauvage une petite forêt avec des enfants différents, des gens pressés qui ne sont pas les mêmes, des balançoires totalement diverses, j’ai chaque fois l’impression d’être dans une petit univers en me demandant ce qu’il y a dans celui d’après. Dans quelle constellation vais-je me rendre ? Un jour, en levant la tête pour voir les petits balcons « minimaux » des appartements polonais où il y a toujours quelque chose, mais bizarrement, c’est très souvent comble et très bien rangé, (un polonais est capable de mettre son appartement, sa ville en bouteille), je me suis aperçu que toutes les fenêtres d’un grand bloc, ceux à six entrées et huit étages,quatre-vingt-seize foyers en tout , possédaient des rideaux de dentelle blanche ouvragée, de cette facture si polonaise, traditionnelle, de la broderie. Je dis bien tous.

C’est ainsi que l’on peut percevoir, quelquefois, la délicate et triomphante douceur des mères, des grand mères, même les pieds dans l’asphalte, la bouche dans le plomb, depuis les rues bien rudes. Depuis, j’essaie souvent de déterminer le degré de solidarité des habitants du bloc à la proportion de rideaux de dentelle sur le total des fenêtres, cette cohésion nationale bien polonaise qui dépasse de loin le nationalisme crétin. Par moins huit, plus froid, je n’y allais pas, tu te rappelles, sinon c’était le caleçon intégral en dessous du pantalon et ça, je n’ai, pas pu (peut être qu’un jour je ferai comme un vrai polonais qui lutte vraiment contre la glace), par ces températures « ujemne », disais-je, je m’accordais jusqu’à une heure et demie de promenade autour des blocs,par les sklepiki et les parkingi surveillés, toujours par un retraité aimable en Czapka à oreillettes (je n’ai jamais vu un seul polonais de plus de 10 ans se servir des oreillettes de sa czapka, pourquoi ? il va falloir que je demande) jusqu’au panorama au dessus du reste de la ville .Je pensais alors, en apercevant les brumes au dessus de la Brda et cette série de toit mêlés, les prussiens de Bromberg, ras et noirs,surmontant les briques rouges,les pilsudskiens défraîchis, du blanc néo-romantique et grand duchesque, les goudronnés de la débrouille polonesque, les hideux de l’internationale marchande, les radicaux cubesques de la Ludowa et enfin ceux des églises, la Bernardine harmonieuse, de cet ordre si slave, la Jésuite diaphane, visible partout dans la ville ou presque, la grandiose paroissiale du rynek, tirant vers l’éternité : Venise ne doit pas être plus belle….
Tiens, allons vérifier tout de suite….

Prochain épisode : Raid sur Wenecja.

Blanc et Rouge par Pan Bruno (les Archives)





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